Absentéisme hospitalier: le covid n’explique pas tout
Pandémie
AbonnéDepuis deux ans, les hôpitaux romands affichent des taux d’absence pour maladie en hausse, mais sans explosion. Ils étaient déjà importants avant la pandémie. Mais il y a de fortes disparités entre établissements

Alors qu’on entrevoit le bout du tunnel, le personnel hospitalier est toujours sous pression. C’est ce que répètent les autorités depuis des mois. La semaine dernière, le Réseau hospitalier neuchâtelois (RHNe) était contraint de réduire son activité en raison d’un absentéisme en hausse de 30%, entre les malades, les quarantaines et les gardes d’enfants. L’établissement tirait la sonnette d’alarme, expliquant qu’il lui faudrait trouver plus de 40 remplaçants chaque jour. Alors qu’en est-il vraiment de l’absentéisme du personnel soignant en Suisse romande?
La réalité de la progression, en comparaison sur quatre ans, hors congés maternité et tous services confondus, n’est pas alarmante. Elle montre une hausse significative dans la plupart des établissements, mais pas une explosion. Même si certains secteurs sont plus exposés que d’autres selon les pics – les soins intensifs à Genève étaient frappés de 15% d’absentéisme en septembre de l’année dernière. Mais globalement, on constate une augmentation d’un ou deux points selon les hôpitaux, maladies et accidents confondus. Sauf à Neuchâtel, précisément, où l’absentéisme n’a quasiment pas bougé (5,2% en 2018 et 2019, 5,3% et 5,5% en 2020 et 2021, pour 2800 collaborateurs).
Effet de solidarité
Alors, pourquoi avoir paniqué la semaine dernière? «C’est parce que les mois précédents, la proportion des absences pour covid était largement moins conséquente, autour des 10% des maladies», répond Gérald Brandt, directeur des ressources humaines au RHNe. Quant aux raisons qui ont fait que Neuchâtel n’a pas connu, comme ailleurs, une hausse manifeste d’absentéisme ces deux dernières années, le responsable évoque plusieurs facteurs éventuels: «Nous avons procédé à des engagements après la première vague, ce qui a détendu la pression, nous avons fait appel à l’armée, et l’effet de solidarité a certainement aussi joué un rôle.»
Aux Hôpitaux universitaires genevois (HUG), 13 500 employés dont 74% de soignants et médecins, c’est une autre histoire. L’absentéisme était déjà élevé avant le covid: toutes professions confondues, ils affichaient une moyenne de 7% en 2018 et en 2019, pour monter à 8,4% en 2020 et 7,9% en 2021. Ce taux permet encore aux HUG de maintenir les prestations, sauf en chirurgie où certaines sont affectées. Mais le variant Omicron fait désormais, à Genève comme ailleurs, plus d’absents: «Nous avons eu en moyenne 70 collaborateurs testés positifs chaque jour durant les deux premières semaines de l’année, relate Nicolas de Saussure, porte-parole des HUG. La semaine dernière, ce nombre a baissé. L’allègement des quarantaines ainsi que la réduction de la durée des isolements ont détendu la situation. La baisse de la contagion y contribue également.»
Lire aussi: Aux HUG, les soins intensifs sont saturés par douze patients covid
Au CHUV, vendredi dernier, 250 employés manquaient à l’appel, mais ils étaient 450 absents la semaine précédente, un chiffre jamais relevé depuis 2020. Mais si on compare les taux d’absentéisme sur quatre ans, on constate une hausse de seulement un point ces deux dernières années (5,4% en 2019, 6,5% en 2020 et 6,3% en 2021). Ce qui tendrait à prouver que le personnel a plutôt bien résisté. D’ailleurs, le CHUV note que le covid représente 7% des maladies pour 2020 et 4,9% pour 2021.
Stress et épuisement
Les hôpitaux de taille plus modeste souffrent davantage. Les Etablissements hospitaliers du Nord vaudois, eux, affichaient 7,6% d’absents pour maladies et accidents en 2020, contre 6,1% en 2017. A l’Hôpital du Jura, la pandémie a eu pour effet une augmentation de deux points du taux d’absentéisme, passant de 6,8% en 2019 à 9% en 2021. Si la maladie est en cause, l’épuisement doit aussi avoir un impact: «Les quarantaines influencent l’absentéisme, mais aussi le stress de devoir remplacer les collègues absents», estime Jacques Gerber, ministre de la Santé jurassien. Même si l’Hôpital du Jura, en l’occurrence, a engagé une trentaine de personnes supplémentaires pour éviter l’épuisement et lutter contre l’absentéisme. L’Hôpital du Valais a passé, lui, de 3,9% en 2019 à 5,6% l’année suivante.
Lire encore: Pénurie de personnel: des unités de soins intensifs tirent la langue
Si la pandémie a empiré la situation, le problème était présent avant. C’est en tout cas ce dont est persuadé Pierre-Yves Maillard, conseiller national socialiste, président de l’Union syndicale suisse (USS) et ancien ministre de la Santé vaudois: «Ce qui a changé, c’est qu’avec le covid, nous avons trois pics de suractivité par an, donc de surcharge, au lieu d’un seul, celui de la grippe.» La faute, selon lui, à un financement trop strictement lié à l’activité. Introduit en 2012, ce système impose de viser un taux d’occupation moyen des unités hospitalières de 85%, sans quoi l’unité en question est déficitaire: «Du coup, si un service connaît une hausse de 30%, la seule variable d’ajustement devient les heures supplémentaires, les nuits ou week-ends à ajouter. C’est cela qui épuise le personnel.» Pour lui, la solution passe par le financement, par une subvention cantonale de réserves de capacités – un article en ce sens figure désormais dans la révision de la loi sur le covid. «Car on ne paie pas les pompiers à l’incendie», résume le socialiste.
Pour le conseiller national UDC genevois Yves Nidegger, la pandémie a bon dos, mais pour d’autres raisons: «On part d’un seuil d’absentéisme avant covid très nettement supérieur au privé. Dans le secteur public, lorsque vous êtes fâché, vous êtes malade. Dans tous les secteurs de l’Etat, ce taux est malheureusement incompressible. Si vous rajoutez une crise sanitaire à cet absentéisme structurel, vous obtenez un levier alarmant.» Quelle que soit l’explication avancée, il semble que le covid ne soit pas seul en cause.