Affaire Lauber: l’Autorité de surveillance est rappelée à l’ordre
Justice
Le Tribunal administratif fédéral estime que la base légale pour que l’Autorité de surveillance délègue une enquête disciplinaire à un tiers fait défaut. Ce qu’elle a fait dans l’affaire Lauber

L’Autorité de surveillance du Ministère public de la Confédération (AS-MPC) n’aurait pas dû déléguer l’enquête disciplinaire dans l’affaire Lauber au professeur Peter Hänni. Le Tribunal administratif fédéral estime qu’une base légale fait défaut.
Les dispositions d’organisation et de procédure relatives à l’enquête disciplinaire ne prévoient pas de base légale permettant à l’AS-MPC de déléguer cette tâche à des tiers. C’est la conclusion à laquelle parvient le Tribunal administratif fédéral (TAF) dans un arrêt publié vendredi.
Interrogée par Keystone-ATS, l’AS-MPC a indiqué qu’elle reprenait dès à présent la direction de l’enquête disciplinaire. «L’Autorité veut garantir une procédure objective et équitable», a indiqué Silvia Wellinger. La collaboratrice scientifique a ajouté que l’AS-MPC était consciente de l’urgence de la situation, d’où cette décision immédiate. Le professeur émérite Peter Hänni a été désigné début juillet pour mener l’enquête.
Selon la haute cour administrative, le droit du personnel de la Confédération ne s’applique pas au procureur de la Confédération et à son adjoint. C’est à dessein que le législateur a prévu un statut du personnel distinct.
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Dans son argumentaire, l’AS-MPC estimait que ses membres ne pouvaient pas mener eux-mêmes l’enquête disciplinaire car ils exercent leur fonction en plus de leur activité professionnelle. En outre, ils n’auraient pas eu les compétences techniques et les capacités nécessaires pour diligenter une telle procédure de manière correcte.
Désignation des avocats
Faute de base légale pour déléguer l’enquête disciplinaire, l’autorité de surveillance ne pouvait pas non plus confier au professeur le mandat de prendre des décisions, ajoute le TAF. Pourtant, celui-ci a déjà refusé d’admettre les avocats Lorenz Erni et Francesca Caputo désignés par le procureur général de la Confédération Michael Lauber pour sa défense.
Peter Hänni invoquait un conflit d’intérêts. En effet, ces avocats défendent aussi Sepp Blatter dans les enquêtes sur la Fédération internationale de football association (FIFA). Dans son arrêt, le TAF a annulé la décision du professeur.
Pour des motifs d’économie de procédure, les juges de Saint-Gall se sont aussi penchés sur la légalité de cette interdiction de représentation. Ils sont arrivés à la conclusion que les motifs invoqués par Peter Hänni sont insuffisants. La loi sur les avocats interdit certes d’accepter un mandat en cas de conflit d’intérêts mais cette disposition a pour but de protéger le justiciable.
En l’espèce, Michael Lauber ne devait pas être protégé et il n’y avait pas non plus de conflit d’intérêts, estime le TAF. Le procureur général ne conduisait «justement pas» la procédure pénale contre Blatter. D’autre part, la procédure disciplinaire concerne les rencontres avec le président actuel de la FIFA Gianni Infantino qui, «dans les grandes lignes», ne concernent pas la procédure dirigée contre Blatter.
Code de conduite
Selon l’arrêt, Peter Hänni estimait dans sa décision que le conflit d’intérêts était manifeste. En outre, le procureur général aurait violé le code de conduite du MPC par le choix de ses avocats.
Ce code impose aux collaborateurs du MPC de renoncer dans leur vie privée à toute activité ou comportement qui pourrait aboutir à un conflit d’intérêts. Sont également interdites les actions susceptibles de mettre en cause l’indépendance, l’intégrité ou la réputation des collaborateurs ou encore de porter atteinte à la dignité de leur fonction.
Peter Hänni considérait que le droit disciplinaire avait précisément pour but de préserver la dignité des autorités concernées. En mandatant Lorenz Erni et Francesca Caputo, Michael Lauber serait allé à l’encontre de cet objectif.
La procédure disciplinaire ouverte le 9 mai dernier doit permettre d’élucider les explications données par le procureur général à l’AS-MPC ainsi que ses activités dans le cadre des enquêtes dirigées contre la FIFA.
«Echange de coups juridiques» dénoncé
Le conseiller national Matthias Aebischer (PS/BE) condamne fermement «l’échange de coups juridiques» dans l’affaire Lauber. Selon le Bernois, le travail du Ministère public de la Confédération est paralysé.
«C’est un autre chapitre mortifiant de cette guéguerre entre le MPC et l’autorité de surveillance», a déclaré vendredi Matthias Aebischer, interrogé par Keystone-ATS. Le problème, c’est que cette affaire paralyse l’ensemble du travail du Ministère public. «Il est actuellement presque incapable d’agir dans de nombreux dossiers importants», a déclaré Matthias Aebischer.
La réputation et la crédibilité de la Suisse est également atteinte. «D’un point de vue politique, c’est très ennuyeux», ajoute Matthias Aebischer, membre de la Commission judiciaire (CJ), qui est chargée de se prononcer sur la réélection de Michael Lauber.
Pas de «soupçons fondés» de manquements
Cette commission avait reporté sa décision en mai jusqu’à la session d’automne en raison de la procédure disciplinaire en cours contre le procureur de la Confédération. Toutefois, la commission ne veut pas reporter la décision une nouvelle fois. «Nous avons convenu de prendre une décision lors de la session d’automne indépendamment du rapport intermédiaire de l’autorité de surveillance», a déclaré Matthias Aebischer. Les réunions se tiendront entre le 28 août et le 4 septembre.
Un préavis est pour l’heure impossible: Michael Lauber ne fait pas l’objet de «soupçons fondés» de manquements à son devoir officiel. La CJ pourrait toutefois en décider autrement.
Un recours n'est pas exclu
L’arrêt du TAF n’est pas définitif et peut être attaqué devant le Tribunal fédéral. La reprise de l’enquête par l’AS-MPC ne préjuge pas des suites qu’elle pourrait donner à l’affaire. «Nous allons maintenant analyser soigneusement le jugement du TAF», indique Silvia Wellinger. Un éventuel recours n’est donc pas exclu.
L’arrêt du TAF n’est pas définitif et peut être attaqué devant le Tribunal fédéral. (arrêt A-3612/2019 du 29 juillet 2019)
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