Il n'y a pas eu de miracle: sans perdre de temps, le Tribunal fédéral a pris la décision que tout le monde attendait et refusé d'entrer en matière sur le recours formé par le Conseil d'Etat genevois contre l'attribution à Sergueï Mikhaïlov de la somme rondelette de 800 000 francs destinée à dédommager le célèbre Moscovite des inconvénients liés à son arrestation et à sa détention à Genève. Le gouvernement cantonal estimait la décision arbitraire. Les juges fédéraux semblent assez enclins à partager cette analyse. Mais si le citoyen peut toujours chercher protection auprès du TF contre l'arbitraire d'une autorité, cette voie n'est pas ouverte à l'Etat lui-même, du moins lorsqu'il est condamné pour un acte lié à l'exercice de la puissance publique.
Tel était le cas en l'espèce. Soupçonné d'être l'un des tout gros bonnets de la mafia russe et arrêté le 16 octobre 1996, Sergueï Mikhaïlov a été détenu provisoirement à Champ-Dollon jusqu'à son procès en décembre 1998. Il avait tiré argument de son spectaculaire acquittement pour exiger que l'Etat passe à la caisse. C'est donc bien l'Etat détenteur du pouvoir d'arrêter et de juger qui était visé et non pas l'Etat propriétaire de biens ou de terrains, assimilable à un simple particulier. Genève doit en conséquence payer, même si le montant du dédommagement a de quoi rester en travers de la gorge du gouvernement et des contribuables.
Le montant attribué à l'ex-parrain, en effet, bat de très loin tous les records en matière de dédommagement alloué à des personnes détenues à tort – un domaine où le canton de Genève a pour règle de se montrer résolument chiche. A la différence d'autres cantons suisses qui admettent le principe d'un dédommagement proportionnel à la durée de la détention et aux inconvénients qui lui ont été liés, Genève applique un système à deux vitesses. Le tout-venant des innocentés de dernière minute est tenu à la portion congrue: 10 000 francs, pas plus. Si des circonstances particulières – par exemple une détention particulièrement longue – le justifient, une indemnité supplémentaire exceptionnelle peut être versée. Ceux qui ont bénéficié de cette largesse très relative avant Sergueï Mikhaïlov ont en général reçu des sommes équivalant à 100 francs par jour de détention. Le gardien auxiliaire de l'UBS, condamné pour participation au «hold-up du siècle» puis acquitté en cassation après quatre ans de prison a ainsi reçu 150 000 francs. Pour la moitié, «Mikhas» touche plus de quatre fois plus.
La Cour de justice genevoise a notamment justifié sa générosité par les difficultés particulières de la procédure, difficultés qui l'ont amenée à allonger pas moins de 577 000 francs pour payer six avocats qui ont entouré l'ex-parrain de leurs conseils. Si le TF n'entre pas en matière, il n'en pense pas moins. «L'arrêt attaqué, signale-t-il au passage, paraît inconciliable tant avec le texte légal qu'avec la jurisprudence cantonale et fédérale.» Et de suggérer au canton de s'adresser au législateur fédéral pour demander une voie de recours permettant à l'Etat de se défendre contre des jugements arbitraires de ce type. Pour le moment, toutefois, c'est au parlement cantonal que le Conseil d'Etat genevois s'est adressé, pour proposer une procédure lui permettant de fixer lui-même les dédommagements, la Cour de justice n'intervenant plus que sur appel de l'intéressé si ce dernier est mécontent du montant proposé. Reste l'aspect le plus critique – et le plus critiqué – de la loi: la barrière de 10 000 francs. Cette barrière, comme le relève notamment Me Salomé Paravicini, l'avocate de Mikhaïlov, institue une inégalité choquante entre les cas jugés exceptionnels et les autres. Et il n'est pas sûr qu'elle permette d'économiser beaucoup d'argent si d'autres acquittés excellents doivent bénéficier à l'avenir du même traitement que l'ex-parrain russe…