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Agression sexuelle: tourments à l'Institut Florimont

A Genève, la prestigieuse école privée, fondée par la Congrégation des missionnaires de Saint-François de Sales et actuellement codirigée par des laïques, se trouve au cœur d'une affaire judiciaire. Une fille affirme avoir été brutalisée et pénétrée avec un objet dans les sous-sols de l'établissement. Des inculpations ont été prononcées

«Tout par amour, rien par force». En première page de la publication annuelle de l'Institut Florimont, la devise de Saint-François de Sales revêt ces jours une intense actualité. Le prestigieux établissement privé genevois, qui forme depuis près de 100 ans l'élite du canton, est secoué par une affaire d'une rare gravité. Le 15 décembre, un responsable de l'école a été inculpé du crime d'exposition pour avoir abandonné une fille de 11 ans et demi alors qu'elle se faisait, dit-elle, agresser sexuellement dans les sous-sols de l'établissement par quatre élèves. Le jour même, le juge du Tribunal de la jeunesse retenait à l'encontre des garçons les charges d'actes d'ordre sexuel et de lésions corporelles, totalement contestées par ces derniers. Retour sur une enquête mouvementée.

C'était le 10 septembre 2002. Vers 18h00, l'Hôpital de la Tour recevait en urgence une jeune fille, appelons-la Chantal, avec une perforation du vagin et une hémorragie dite cataclysmique. A une demi-heure près, elle serait décédée, pensent les docteurs. L'affaire est dénoncée à la justice par le corps médical. Les parents de l'adolescente déposent aussi plainte contre inconnu. Un dossier difficile à instruire. La victime ne parle pas. Une manière, dira sa thérapeute, de se protéger et de gérer son immense traumatisme. La famille de Chantal est convaincue qu'il s'est passé quelque chose à l'école avant que le père ne passe chercher sa fille peu après 15h00. Une hypothèse que contredit une première expertise ordonnée par la juge Isabelle Cuendet. D'après le médecin, il ne peut s'être écoulé plus d'une heure entre la lésion et l'hémorragie.

Fort de cette conclusion, l'enquête se dirige naturellement vers l'entourage et le domicile de la victime puisque celle-ci y a passé près de trois heures avant de se vider de son sang. Du luminol est passé partout, on cherche des traces de sang ailleurs que sur son lit. En vain. Toutes les pistes sont explorées: la famille, l'automutilation, l'accident. Parallèlement, la police interroge comme témoin le responsable aujourd'hui inculpé de Florimont, qui assure n'avoir rien remarqué ce jour-là. Toujours muette face à l'autorité, Chantal commence à lâcher des bribes à sa mère. Parvenues aux oreilles de la justice, celles-ci donneront lieu à divers interrogatoires des élèves et du même responsable. Les premiers contestent, ce dernier reste vague même si la mémoire lui revient un peu, l'affaire semble se diriger vers un probable classement.

Le rebondissement a lieu à l'automne. Chantal se décide à confirmer son récit devant la juge pour enfants. Elle dit avoir été agressée par les quatre élèves. Deux lui auraient attrapé les mains, un troisième lui aurait caché les yeux alors que le dernier l'aurait violé avec une brosse à dents. C'est alors qu'elle était encore à moitié dénudée que le responsable serait descendu dans ces vestiaires et lui aurait simplement intimé de se rhabiller en disant à tout le monde de retourner aux études. Enfin, l'impossibilité médicale relevée par la première expertise est nuancée. L'emploi d'un objet non contondant aurait entraîné une blessure qui se serait aggravée quand la mère de la victime, croyant avoir affaire aux premières règles de sa fille, lui a enjoint d'utiliser un tampon.

Ces nouveaux éléments motiveront l'intervention de la police le 15 décembre sur le terrain de l'école pour procéder à l'arrestation surprise, simultanée et limitée à quelques heures, des 5 protagonistes du dossier. Amenés devant les deux juges, ils seront confrontés durant tout l'après-midi. En l'état, les versions divergent. Représenté par Me Yaël Hayat, le responsable de Florimont explique désormais avoir aperçu au moins trois des quatre garçons dans ce sous-sol, une brosse à dent à la main, mais avoir cru à une dispute. «On ne peut pas lui reprocher d'avoir abandonné une élève à un danger si aucun signe de violence n'était visible ou n'a été perçu», souligne son avocate. Autant dire que l'intéressé conteste l'inculpation prononcée à son encontre. En gros, il ne sait pas vraiment ce qui s'est passé. Il a bien vu ces élèves mais il ne sait pas ce qu'ils ont fait.

De leur côté, les garçons affirment qu'ils n'étaient simplement pas là. «Ils se disent étrangers à cette affaire et contestent être les auteurs d'un acte si odieux. Il faudra sans doute explorer d'autres pistes dans ce dossier», remarque Me Pierre Martin-Achard, défenseur d'un des mineurs. Me David Bitton ajoute que les déclarations du responsable manquent cruellement de constance: «A quelques heures d'intervalle, il a mis en cause mon client puis a reconnu qu'il n'était peut-être pas présent.» D'autres interrogations surgissent face aux versions successives de cet adulte. Pourquoi n'a-t-il rien dit la première fois? A-t-il pu ne pas faire le lien entre l'agression décrite par la police et la scène du sous-sol? A-t-il préféré ne pas faire de vague pour préserver la réputation de l'établissement? Aurait-il aujourd'hui d'autres raisons de travestir la vérité et de mettre en cause des élèves qui n'y sont pour rien?

En l'état, la direction du collège maintient toute sa confiance à ce responsable. Me Olivier Jornot, conseil de l'établissement, souligne qu'il n'y a aucune raison de prendre des mesures à son égard sauf fait nouveau. «Si ce dernier a mal évalué une situation, cela ne mérite pas de le clouer au pilori», relève l'avocat. Par contre, l'institut a pris l'initiative de suggérer aux parents des élèves concernés de les retirer de cette école «dans l'intérêt de tous». Quant à l'inertie de la direction durant l'année qui a suivi l'agression, Me Jornot l'explique par une «relative ignorance des faits».

L'enquête se poursuit au-delà des tourments qui agitent Florimont. Pour la curatrice de Chantal, Me Birgit Sambeth Glasner, il est important désormais d'établir la vérité afin que tous ces enfants, victime ou auteurs, puissent retrouver un cadre normatif: «On ne peut banaliser un acte aussi gravissime, au risque de voir ces mineurs se construire avec une vision erronée de la justice et de la société». Et l'avocate d'ajouter qu'elle n'a aucune raison de mettre en doute les déclarations de la jeune fille. Cette dernière, depuis son agression, a préféré changer d'établissement.