Alain Berset face à la crainte d’une «médecine étatique»
Santé
Le ministre de la Santé a présenté son deuxième paquet de mesures pour juguler les coûts de la santé, dont il estime le potentiel d’économies à un milliard par année. Les médecins sont consternés

En 1996, la facture de l’assurance obligatoire de base s’élevait encore à 11 milliards de francs, mais elle a grimpé à 33 milliards aujourd’hui. Sur ce seul point, tout le monde est d’accord: il faut freiner cette spirale infernale des coûts de la santé, qui fait que la charge des primes est devenue insupportable pour beaucoup de ménages. Pour ce faire, Alain Berset a présenté ce mercredi son second paquet de mesures, axé sur la fixation d’objectifs pour maîtriser les coûts par les cantons et la Confédération, mais il est déjà très controversé. Le PDC le trouve largement insuffisant, tandis que les médecins craignent une «médecine étatique» et brandissent déjà la menace d’un référendum.
Juste avant que le Conseil fédéral ne décrète le droit d’urgence en mars dernier, le PDC avait déposé une initiative populaire pour instaurer un frein aux dépenses. Dès le moment où la hausse des coûts de l’assurance maladie dépasse un certain seuil par rapport à l’évolution des salaires, le Conseil fédéral doit intervenir. Le gouvernement ayant jugé ce lien «problématique», il rejette cette initiative, préférant lui opposer un contre-projet sous la forme de ce paquet de mesures, qui recèle d’après lui un potentiel d’économies d’un milliard de francs par an, soit l’équivalent de 3% des primes.
Le non des médecins au budget global
Sa mesure principale introduit un objectif de maîtrise des coûts dans la loi sur l’assurance maladie (LAMal), cela en collaboration avec les cantons, qui renforcent leur pouvoir à cette occasion. Ce sont eux qui définissent chaque année dans quelle mesure les coûts peuvent augmenter, par exemple pour les soins hospitaliers stationnaires, les traitements ambulatoires ou les médicaments. Si l’objectif n’est pas atteint à la fin de l’exercice, ils doivent négocier des conventions tarifaires adaptées à la baisse avec les partenaires tarifaires et tranchent en cas de désaccord. Pour ce qui concerne le but à atteindre au niveau national, le Département fédéral de l’intérieur d’Alain Berset s’érige en arbitre pour garantir la maîtrise des coûts.
«Notre but est d’améliorer la transparence et de renforcer la responsabilité des acteurs de la santé. Il ne s’agit pas d’un plafonnement ni d’un rationnement des soins», tient à préciser le ministre de la Santé.
Président de la Société de médicale de la Suisse romande, Philippe Eggimann n’en croit pas un mot. Il se dit «effrayé» par le projet du Conseil fédéral, qui n’a pas écouté les propositions des blouses blanches. «Le budget global correspond à un rationnement des soins, qui a conduit à des expériences désastreuses dans les pays qui nous entourent. Il débouche inévitablement sur une médecine à plusieurs vitesses dans laquelle seuls ceux qui en ont les moyens conservent une qualité de soins pareille à celle d’aujourd’hui», affirme-t-il.
Le libre choix du médecin menacé
Autre mesure très controversée: dans le souci de mieux coordonner les soins et d’éviter les actes inutiles, le Conseil fédéral veut rendre obligatoire le modèle d’une porte d’entrée aux assurés qui tombent malades. Ceux-ci ne pourront plus courir d’emblée chez un spécialiste, mais devront passer par un médecin de famille, un cabinet HMO ou un centre de télémédecine. Certes, ils ne sont plus que 30% à ne pas avoir opté pour un tel modèle, mais pour eux, cette mesure limite le libre choix du médecin dont ils disposent aujourd’hui. Seront-ils convaincus par le fait qu’ils bénéficieront d’un rabais de 14% sur leur prime maladie? Pas sûr! En 2012, le peuple avait balayé pour cette raison un projet de soins intégrés (le «managed care») à une majorité de 76%. Le rappel de ce vote rend la faîtière des caisses Santésuisse «sceptique». «Il est important que l’assuré puisse conserver le libre choix du médecin», note son porte-parole Christophe Kaempf.
De cet échec cuisant, Alain Berset se souvient bien évidemment. Mais il rappelle que le panel d’experts qui a rendu un rapport en 2017 souhaite expressément la promotion des réseaux de soins intégrés. «Nous nous devons de mener ce débat», assure le chef du DFI. Président du Conseil d’administration du groupe de cliniques privées Swiss Medical Network – qui prépare un grand projet régional de soins intégrés –, Raymond Loretan s’en réjouit, mais réclame «moins d’Etat et plus d’innovation».
Ce débat s’annonce donc tumultueux pour Alain Berset. «Nul ne doute qu’il y aura un référendum lancé par les associations professionnelles des médecins», regrette Philippe Eggimann. Quant au PDC, dont l’initiative a inspiré le projet du Conseil fédéral, il se dit aussi déçu. «Ce contre-projet, même s’il constitue un pas dans la bonne direction, ne correspond pas à l’urgence de la situation», réagit-il. «Il n’y a rien de contraignant dans ce projet», déplore le conseiller national Benjamin Roduit (PDC/VS). «Les cantons auront certes plus de pouvoir, mais ils seront pris au piège de leur position de juge et partie: comme ils sont propriétaires des hôpitaux, ils n’ont pas intérêt à baisser les tarifs en la matière.»