Alain Berset: «Je n’aurai pas d’états d’âme»
ubs
Le PS, qui pourrait faire la décision, persiste à refuser l’accord avec les Etats-Unis. Interview avec le conseiller aux Etats socialiste fribourgeois Alain Berset, l’un des bons connaisseurs des dossiers économiques au PS
A quinze jours du début de la session parlementaire, l’incertitude reste totale. A priori, l’accord avec les Etats-Unis prévoyant la livraison de 4450 clients d’UBS n’a aucune chance sans l’appui des socialistes, et le PS persiste à juger insuffisantes les promesses faites par le Conseil fédéral. Les explications du conseiller aux Etats socialiste fribourgeois Alain Berset.
Le Temps: Qu’aurait dû faire le Conseil fédéral?
Alain Berset: Il aurait dû proposer au moins une mesure concrète dans la modération des bonus excessifs. Sur le papier, le Conseil fédéral va dans le bon sens en annonçant des mesures sur la taille des banques (too big to fail) et des règles pour les rémunérations. Mais ce ne sont là que des déclarations d’intention. C’est insuffisant. En s’engageant à mettre des propositions en consultation, le Conseil fédéral ne s’engage à rien: les procédures de consultation sont des machines à essorer les projets. Pour l’accord sur la libre circulation des personnes, les mesures d’accompagnement ont été présentées en parallèle, elles ne sont pas venues comme une éventualité après l’approbation de l’accord. Et si elles étaient venues après, elles n’auraient probablement pas survécu au processus parlementaire.
– On a su en janvier seulement, après la décision des juges, que l’approbation du parlement serait nécessaire. Les noms doivent être livrés jusqu’à fin août…
– Huit mois, dont quatre ont déjà été perdus. Le PS a été tout de suite très clair en disant qu’il n’approuverait pas l’accord sans mesures d’accompagnement notamment dans le domaine des bonus – des mesures que nous réclamons sans succès depuis deux ans. Le Conseil fédéral et les partis de droite semblent avoir pensé que nous voulions simplement occuper le terrain médiatique. Ils se sont trompés. Nous sommes d’autant plus clairs que nos revendications sont très modérées. Le nouveau gouvernement conservateur britannique veut une taxe sur les banques, le gouvernement français a mis en place une taxe de 50% sur les bonus, nos conditions pour approuver l’accord ne vont pas aussi loin.
– Que vous faut-il concrètement?
– Il est clair pour moi que tout ne peut pas être sous toit d’ici à la fin de la session parlementaire le 18 juin. Certaines mesures concernant la problématique du too big to fail prendront raisonnablement plus de temps pour être mises en œuvre. D’autres mesures ne présentent aucune difficulté, par exemple le fait de limiter les déductions des plus gros bonus du bénéfice imposable des banques. Hans-Rudolf Merz annonce à ce sujet une consultation en octobre, ce qui signifierait probablement un enterrement de première classe pour cette idée. Pourquoi pas maintenant? Son département a lancé fin mars une consultation qui se termine fin mai pour un programme d’économies de 2,5 milliards. C’est donc parfaitement possible, notre proposition tenant en une phrase à insérer dans la loi. Mais le Conseil fédéral continue de jouer la montre, en espérant probablement un appui à l’accord pour ne rien entreprendre de sérieux ensuite afin de limiter les bonus. Il avait déjà fallu que la Commission des finances tape du poing sur la table pour qu’il accepte de faire prendre en charge par UBS les 40 millions de la procédure d’assistance avec les Etats-Unis.
– Comment être à la fois contre le secret bancaire et contre l’accord?
– L’argument nous est adressé par ceux qui ont défendu le secret bancaire avec le plus d’acharnement. Il ne peut pas être question pour le PS d’approuver un accord d’Etat à Etat dont le principal bénéficiaire est UBS, peut-être les Etats-Unis mais pas la Suisse, sans mesures d’accompagnement destinées à permettre enfin un développement durable de l’économie suisse et de sa place financière. La question centrale est de savoir jusqu’où on peut aller pour sortir UBS une énième fois d’une impasse où elle est entrée seule. D’ailleurs, le message que je reçois, aussi de la part de patrons de PME auxquelles il n’est jamais fait de cadeau, est de ne pas céder.
– Les voix du PS s’ajouteraient à celles de l’UDC. Cela ne vous pose-t-il aucun problème?
– La grande différence, c’est que l’UDC rejette l’accord par principe. Nous souhaitons l’accepter, mais avec des mesures d’accompagnement pour la Suisse. Le PS est quasiment seul depuis longtemps à dénoncer la distinction entre fraude et soustraction fiscales. Nous avons aussi été les premiers à dénoncer les bonus et restons presque seuls à vouloir des progrès concrets dans ce domaine.
– Qu’a fait le PS pour concrétiser ses revendications à temps?
– Nous avons constamment essayé de le faire en déposant des motions, qui ont été rejetées, au parlement, dans deux commissions de chaque chambre et au sein de la Commission des finances. Au moment de passer à l’acte, le PLR, l’UDC et le PDC se rebiffent.
– Ces échecs sont-ils rattrapables?
– Oui, même durant la session d’été. Le report de l’entrée en vigueur de la hausse de la TVA en faveur de l’assurance invalidité a, par exemple, été décidé en trois jours l’an dernier.
– Les libéraux-radicaux vous accusent de chantage. Que leur répondez-vous?
– Qu’il est dommage qu’ils refusent de prendre avec nous des mesures souhaitées par une immense majorité de la population. Nous souhaitons trouver des solutions, mais il faut des partenaires. Tout le monde critique les bonus tels qu’ils sont pratiqués aujourd’hui. Mais pour les libéraux-radicaux, il est apparemment toujours trop tôt pour agir.
– Votre parti est-il susceptible de fléchir au dernier moment?
– J’ai pu constater que le groupe parlementaire est très clair. De mon côté, je voudrais pouvoir voter cet accord, mais je n’aurai pas d’états d’âme à le rejeter s’il ne s’est rien passé de concret d’ici là, et si le Conseil fédéral et les autres partis, qui prétendent souvent vouloir agir, continuent à s’arc-bouter sur le calendrier pour ne rien faire.
– En juin, l’accord échoue. En assumerez-vous la responsabilité?
– Il en faudrait peu pour éviter un échec! Il suffirait que le Conseil fédéral et une majorité nous rejoignent au parlement pour réaliser tout de suite ce qu’ils annoncent vouloir seulement plus tard. En cas de rejet de l’accord au parlement, chacun fera son examen de conscience. Et il faudra que le Conseil fédéral explique pourquoi il sera resté braqué sur le calendrier.
– Quelle solution de rechange?
– S’il n’y a pas de plan B, comme le dit Hans-Rudolf Merz, faisons alors en sorte que le plan A réussisse. Si c’est non, les conséquences seront surtout délicates pour UBS, qui pourrait être tentée de transmettre les comptes elle-même en violation des lois suisses. Ce qu’on pourrait attendre avant la session d’été, c’est un signe des milieux économiques à l’adresse de ses relais politiques traditionnels pour trouver une solution. Le délai pour transmettre les noms aux Etats-Unis échoit à fin août. Il peut se passer beaucoup de choses jusque-là.