Augmentation d’une année de l’âge de la retraite pour les femmes, augmentation de la TVA, augmentation des cotisations, baisse du taux de conversion compensée par un bonus de 70 francs d’AVS: la réforme soumise au peuple le 24 septembre cumule les mesures qui fâchent. Le conseiller fédéral Alain Berset défend pourtant bec et ongles un paquet qu’il dit équilibré, fruit d’un compromis.

Le Temps: Les jeunes actifs, les femmes, les retraités: vous avez du monde à convaincre jusqu’au 24 septembre. Comment allez-vous vous y prendre?

Alain Berset: Expliquer, expliquer, expliquer. Je crois vraiment que c’est le cœur de ce projet. Nous avons sept ans de travaux derrière nous. Mais nous avons sur la table un vrai compromis, qui prouve notre capacité à entreprendre des réformes ensemble, en acceptant de donner quelque chose pour recevoir autre chose. Alors il faudra expliquer comment le mécanisme élaboré fonctionne et pourquoi il est intéressant. C’est ce que je vais faire.

- Le cumul des griefs ne met-il pas l’édifice en péril?

- Personne n’est satisfait à 100%. Mais d’importantes organisations, qui se sont vraiment penchées sur cette réforme, qui ont analysé tous les détails et fait les calculs sont favorables. A commencer par les principales organisations féminines, malgré le fait que l’âge de référence de la retraite des femmes sera augmenté d’une année. Mais elles vont même s’engager en faveur du oui parce qu’elles ont vu que le projet leur sera profitable. Pareil chez les retraités. Leur association faîtière y adhère aussi. Ces soutiens sont très importants. Cela dit, à ce stade de la campagne, je peux aussi comprendre les griefs formulés. Nous sommes dans une phase où les craintes s’expriment. Il s’agit d’y répondre.

- Politiquement, l’opposition est beaucoup plus tenace. Au parlement, tout s’est joué à une voix…

- Ne retenons pas l’ambiance émotionnelle et quasi passionnelle qui a prévalu à la fin de débats parlementaires intenses. De plus, ce sont les derniers arbitrages qui se sont joués à une voix près. D’autres éléments extrêmement importants ont été adoptés avec des majorités beaucoup plus claires. Ne serait-ce que le postulat de base, c’est-à-dire la nécessité de réformer le système. Et qu’avons-nous sur la table? Une révision qui garantit le niveau des rentes, stabilise le financement de notre prévoyance vieillesse et s’adapte à l’évolution de la société. Si les Suisses n’en veulent pas, il n’y a rien. On jette tout, avec les conséquences que cela implique.

- Vous parlez d’un compromis. Mais sans le soutien du PLR, de l’UDC et des grandes organisations économiques, peut-on toujours parler de compromis?

- Je note qu’en Suisse romande, les organisations économiques sont pour. Elles ne sont pas d’accord avec chaque détail. Mais elles disent clairement que ce projet vaut mieux que rien du tout et craignent les risques d’un refus. Quant à l’opposition de certains partis politiques, je constate juste que l’ambiance survoltée et inhabituelle qui a régné au parlement à la fin de la session de mars laisse des traces et que les élus qui se sont impliqués dans ce dossier veulent en rester là. Dommage. Il était juste de se battre jusqu’au bout. Nous sommes dans une démocratie. Mais nous entrons dans une autre phase. Celle où il faut analyser le projet dans son ensemble et dresser un vrai bilan. Car il y a aussi dans cette réforme de nombreux éléments que le PLR et les organisations économiques demandaient depuis des années et qu’ils avaient encore répétés lors de la procédure de consultation. Aujourd’hui, la seule chose qu’ils contestent réellement est la proposition de compensation qui vise à maintenir le niveau des rentes malgré la baisse du taux de conversion sur le capital du 2e pilier. Si le PLR pense pouvoir faire échouer le projet à cause de ce seul élément et revenir avec une autre idée qui ne garantit pas une compensation en francs et en centimes, il court à l’échec.

- Mais si votre projet est si bon, pourquoi n’êtes-vous pas parvenu à convaincre le PLR et les milieux économiques?

- Le PLR a participé aux travaux pendant sept ans sans amener de propositions convaincantes. S’il imagine pouvoir le faire maintenant, sur le coin d’une table et en deux ans, il se trompe. C’est une illusion. Disons-le clairement. Un non le 24 septembre aurait des conséquences très lourdes. L’expérience nous montre qu’on n’entreprend rien en moins de sept ans. Et que se passe-t-il pendant ce temps? Les problèmes s’aggravent, ce qui complique passablement la recherche d’une solution, laquelle serait par la force des choses beaucoup plus onéreuse qu’aujourd’hui. A cela s’ajoute que dans l’intervalle, on aura creusé dans le premier pilier un déficit de milliards de francs. Et quelqu’un devra bien payer.

- Ce bonus mensuel de 70 francs pour le premier pilier afin de pallier une baisse des rentes dans le 2e pilier, ce n’est pas ce que vous vouliez non plus à l’origine. Pourquoi le soutenez-vous aujourd’hui?

- Le Conseil fédéral a mis sur la table une réforme qui a permis d’entamer les discussions. Le point le plus important sur lequel il n’a pas été suivi, ce n’est pas la question de la compensation, qu’il voulait également mais sous une autre forme, c’est celle de la contribution de la Confédération. Ce sera 700 millions de plus que prévu. Le parlement a été unanime à ce sujet.

- Pourtant, ce sont bien ces 70 francs supplémentaires versés aux nouveaux rentiers qui posent problème dans un contexte où le fonds AVS va fondre ces prochaines années.

- Et c’est ce qui est un peu malheureux. On se focalise sur cet élément alors que d’une part, ces 70 francs sont nécessaires pour garantir le niveau des rentes, et que d’autre part, ils n’aggravent en rien la situation du fonds AVS. Ces 70 francs ne sont pas financés par les retraités actuels. Ces 70 francs seront financés par un modeste supplément de cotisation. C’est-à-dire que ce sont les personnes actives professionnellement qui contribueront à garantir le niveau de leur future rente. Les couples mariés, actuellement pénalisés dans le 1er pilier parce qu’ils ne touchent qu’une rente et demie pour deux, seront également mieux traités. Et ces deux augmentations sont plus que financées par une hausse de 0,3% des cotisations salariales, supportée paritairement par les employeurs et les employés. D’après les chiffres dont je dispose, le financement est assuré jusqu’en 2039. J’estime ainsi qu’au regard de l’ensemble de la réforme, il s’agit d’un point qu’on aurait tort de surexploiter.

- Mais avouez que ces 70 francs ont aussi un objectif: faire avaler la pilule?

- Je bondis quand j’entends dire que ces 70 francs ne sont qu’un «susucre». Surtout lorsque ça sort de la bouche de personnes qui gagnent très bien leur vie. Parler d’un sucre, c’est méprisant et dégradant pour les personnes qui jonglent avec des modestes retraites et comptent chaque sou.

- Avec le recul de sept ans de travaux, pensez-vous toujours qu’il était opportun de mener une si vaste réforme, avec le risque que tout échoue?

- Oui, absolument. L’histoire de notre prévoyance vieillesse contient une liste d’échecs justement parce que tout n’était pas posé sur la table, qu’il y avait des doutes. Etonnamment, je constate que cette réforme globale des deux piliers a affectivement été critiquée au tout début du processus. Puis plus du tout. Et les opposants reviennent maintenant là-dessus. Probablement parce qu’ils doivent trouver des arguments. Je le concède, cet exercice est exigeant. Il s’agit d’une haie élevée à franchir. Mais avec mes collègues du Conseil fédéral, nous avons confiance. Le peuple peut comprendre et accepter un tel projet parce qu’il est raisonnable.

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