Alain Berset s’attaque aux réserves des caisses
Santé
Le ministre de la Santé propose d’abaisser le taux de solvabilité des assurances maladie pour juguler la hausse des primes. Une proposition «trop timide et trop tardive», estiment les syndicats et les médecins

Le thème est chaud, le débat s’enflamme. Selon des rumeurs insistantes, les réserves des caisses maladie atteindront un niveau record cette année. Face à cette situation, le Conseil fédéral veut inciter les assurances à les réduire, et cela dans le cadre d’une modification de l’ordonnance sur la surveillance de l’assurance maladie. Il propose que les caisses contribuent à la réduction des primes dès le moment où leurs réserves respectent le seuil du minimum légal.
Consultez la liste des taux de solvabilité des caisses publiée par l’OFSP
C’est une liste qui parle d’elle-même. Elle mentionne le taux de solvabilité des quelque 60 caisses maladie en Suisse, qui n’ont pas de souci à se faire sur ce plan. Alors que le minimum légal leur impose d’engranger des réserves de 100%, elles dépassent largement ce taux. Les plus grandes – CSS, Helsana, Assura et Groupe Mutuel – atteignent des taux oscillant entre 150 et 200%. En Suisse alémanique, certaines petites assurances frisent même les 450%!
Plus de 10 milliards de réserves
C’était la situation en 2019. A la fin de cette année, les réserves pourraient grimper à 11,3 milliards de francs selon des sources bien informées – un chiffre que l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) ne confirme pas. Quoi qu’il en soit, en pleine crise économique et sanitaire, la pression politique n’a cessé de s’accroître sur le ministre de la Santé, Alain Berset. Les médecins romands ont même réclamé une baisse des primes de 4% au minimum.
Cela ne risque pas d’arriver, car la proposition du Conseil fédéral, qui a été mise en consultation, ne pourrait entrer en vigueur que lors de la fixation des primes de 2022. «Les réserves très élevées de certains assureurs devraient être réduites au profit des assurés», estime le gouvernement. Aussi abaisse-t-il le taux de solvabilité de 150 à 100%, à partir duquel les caisses pourront utiliser leurs réserves pour juguler la croissance de leurs primes. Ce faisant, le Conseil fédéral envoie un signal symboliquement important, mais timide, car les assureurs restent libres de recourir ou non à cette nouvelle disposition.
«Goutte d'eau dans un océan»
En raison de son caractère facultatif, celle-ci ne satisfait pas l’Union syndicale suisse (USS), qui la qualifie de «goutte d’eau dans un océan». Selon le secrétaire central Reto Wyss, la modification de l’ordonnance est «trop prudente», surtout en cette période de crise du coronavirus qui a aggravé les problèmes de pouvoir d’achat de la population: «Il aurait fallu obliger les caisses à lisser leurs primes dès le moment où leurs réserves dépassent le minimum légal de 100%.»
Lire aussi: Sans-papiers, inquiets pour leur santé
Les médecins aussi restent sur leur faim. «La proposition du Conseil fédéral est positive, mais beaucoup trop timide», note Michel Matter, conseiller national (Vert’libéraux/GE) et vice-président de la FMH. «Cela fait des années que nous réclamons une baisse des réserves, car cet argent appartient au peuple, et non aux caisses. Dans ce dossier, on a l’impression que le patron n’est pas le Conseil fédéral, mais les assureurs», déplore-t-il encore.
Du côté des assureurs, l’association faîtière Santésuisse adopte une position réservée. «Il faut éviter qu’un «effet yoyo» ne se produise, comme cela a été le cas par le passé lorsque le Conseil fédéral avait maintenu des primes artificiellement basses en réduisant les réserves. L’un des membres de Santésuisse, Assura, abonde dans ce sens: «Nous devons veiller à ce que les réserves restent suffisantes pour une situation extraordinaire comme la crise sanitaire que nous vivons actuellement.»
Curafutura pour un gel des primes en 2021
En revanche, l’autre faîtière, Curafutura, se montre plus ouverte à faire un geste pour les assurés. Son directeur, Pius Zängerle, souhaite un gel des primes pour 2021 déjà. «En raison de la situation financière engendrée par le coronavirus, il aurait clairement fallu pouvoir stabiliser les primes pour soulager les assurés.»
Lire également: Les travailleurs et travailleuses domestiques laissés à eux-mêmes et à plus de précarité
Dès ce printemps, Curafutura a réclamé au Conseil fédéral de pouvoir intégrer les réserves dans le calcul des primes pour 2021 déjà. Pius Zängerle plaide pour un changement de système, qui actuellement est trop strictement réglementé. «Aujourd’hui, nous devons suivre le principe selon lequel les primes doivent correspondre exactement aux coûts estimés pour l’année suivante, ce qui laisse très peu de marge de manœuvre», regrette-t-il.
A cet égard, le directeur de Curafutura critique l’OFSP, soit l’autorité qui approuve les primes. «Ces dernières années, l’autorité de surveillance a péché par excès de prudence. Ses interventions sont très souvent allées dans le sens d’un rehaussement des primes, ce qui a fait augmenter les réserves.»