Avant d’arrêter sa décision, Albert Rösti a souhaité prendre de la hauteur. Entre Noël et Nouvel-An, il est monté au sommet du Stockhorn dans le Simmental bernois, prenant au passage quelques clichés de cimes immaculées qu’il montre sur son Iphone. «Regardez, il vaut la peine de se battre pour préserver cette Suisse-là». Début janvier, il se dit prêt. Selon toute vraisemblance, Albert Rösti sera élu président de l’UDC le 23 avril prochain.

Rares sont ceux qui avaient prédit une telle ascension à cet Oberlandais de 49 ans. Car celui-ci a connu une carrière en dents de scie avec des hauts, mais aussi des bas. En 2010, il rate la marche du Conseil exécutif bernois, sa route étant barrée par Beatrice Simon (PBD). En 2013, il démissionne de son poste de directeur de l’association des producteurs de lait, étant désavoué par sa base. En tant que consultant privé, il pilote le projet d’une exposition d’envergure nationale sur l’aménagement du territoire – «Grün 18», dont le budget tournait entre 200 et 300 millions –, mais échoue à trouver les fonds nécessaires.

Résilience politique

C’est sûr: Albert Rösti sait digérer les revers et rebondir. Un an après son échec au gouvernement bernois, il est élu au Conseil national en 2011 au terme d’une campagne menée dans un bus VW. Sous la Coupole, il travaille dans l’ombre, échappant en tout cas au radar des observateurs, qui ne prennent guère au sérieux ce néophite à l’air d’éternel adolescent avec ses lunettes d’Harry Potter. Il remplace alors souvent Hansjörg Walther à l’importante commission économique (CER) et Christoph Blocher à la commission de la santé (CSSS).

L’ascension politique a commencé, elle ne s’arrêtera plus. Albert Rösti gravit un échelon supplémentaire dans la hiérarchie du parti en dirigeant aussi discrètement qu’efficacement la campagne électorale de 2015. Il la façonne à son image: modérée sur la forme, mais sans concession sur le fond. Finies, les affiches sulfureuses clouant les moutons noirs au pilori. L’Oberlandais fait chanter les ténors du parti dans un «hymne UDC de la liberté». «Nous avons visé un public d’abstentionnistes aimant fréquenter les kermesses», dit-il. Le résultat est historique: l’UDC se taille 29,4% des parts de suffrages le 18 octobre dernier.

L’avènement de la deuxième génération

Dans le contexte de l’avènement de la deuxième génération Blocher, celle de politiciens de 30 à 50 ans désormais prêts à assumer son héritage, Albert Rösti est l’homme du moment. «Il incarne parfaitement la ligne libérale conservatrice de l’UDC. Fils de paysan, il est à l’aise dans les campagnes, mais aussi à la Paradeplatz avec son titre de docteur de l’EPFZ», note Peter Keller (UDC/NW). Mieux que quiconque dans le parti, il réussit la synthèse entre la très puissante aile libérale, urbaine et bardée de diplômes – Thomas Aeschi, Gregor Rutz, Roger Köppel et Magdalena Martullo-Blocher notamment – et la frange agrarienne, celle plus protectionniste qui ne rêve que d’enterrer la reprise unilatérale du principe du Cassis de Dijon.

Pour certains, comme Claude-Alain Voiblet, ex-député au Grand Conseil bernois émigré à Lausanne, l’ascension d’Albert Rösti est «logique». Lorsqu’il a travaillé comme secrétaire général du Département bernois de l’économie publique (1300 employés) alors piloté par Elisabeth Zölch, il a appris à diriger un état-major. «Alors qu’auparavant il fallait des puncheurs à la tête de l’UDC, nous avons aujourd’hui besoin de gens plus consensuels capables de consolider les structures», déclare le vice-président de l’UDC.

Encore une «énigme»

Pour d’autres en revanche, comme le conseiller national Hans Grunder (PBD/BE), le futur président de l’UDC reste «une énigme». «C’est un homme qui a besoin d’harmonie, toujours très loyal envers son parti», relève celui qui fut le premier président du PBD, cette dissidence de l’UDC suite à l’éviction de Christoph Blocher du Conseil fédéral. Un bon soldat de l’UDC, qui n’est pas sans rappeler Guy Parmelin. «Plusieurs fois en commission, je l’ai vu participer à la construction d’un compromis, puis le refuser comme son parti lors de la votation en plénum. Il lui manque parfois le courage d’affirmer sa propre opinion», déplore Hans Grunder.

Enfant de Kandersteg, Albert Rösti a bien sûr été marqué par le très populaire ancien conseiller fédéral Adolf Ogi. On le devine déchiré face aux deux figures tutélaires qu’ont été pour lui Ogi comme Blocher. De laquelle se sent-il le plus proche? «Je suis Rösti», s’irrite-t-il un peu. Mais encore? «J’ai toujours été fasciné par le charisme d’Adolf Ogi, mais j’ai voté contre l’Espace économique européen (EEE) en 1992. Sur le contenu, je suis sur la ligne de Christoph Blocher».

En misant sur Albert Rösti, la direction de l’UDC espère bien relancer la coalition bourgeoise avec le PLR et le PDC peut-être bientôt présidés par Christian Wasserfallen et Gerhard Pfister. Elle compte ainsi donner un coup de barre à droite en vue d’une politique financière plus rigoureuse, d’une réforme des retraites moins généreuse en nouvelles prestations et d’une remise en question de la sortie du nucléaire. «La coalition bourgeoise sera un combat permanent pour moi», confirme l’intéressé. Avant de préciser: «Mais l’UDC va fixer des lignes rouges que nous ne franchirons pas. Nous ne ferons pas de concessions sur nos initiatives approuvées par le peuple et nous opposerons à tout accord institutionnel avec l’UE».

Les «alliés» de droite sont donc prévenus. Ils ne se faisaient d’ailleurs pas trop d’illusions. «Je ne vois pas l’UDC devenir plus consensuelle, même si Albert Rösti est un rassembleur qui inspire plutôt confiance», déclare le président sortant du PDC Christophe Darbellay. En apparence, le futur président de l’UDC a tout du bouvier bernois, mais il sait aussi sortir les crocs du pitbull.