Il réajuste sa ceinture, serre sa cravate, enlève ses lunettes, les remet, retouche la boucle de sa ceinture, avant de réajuster une nouvelle fois sa cravate. «Vous êtes sûre? Je n’ai pas l’air arrogant si je ne souris pas?» lance-t-il à la pho­tographe. Albert Rösti, 46 ans, est très soucieux de son image. Il s’en veut encore d’avoir été pris en flagrant délit de geste de victoire le 9 février. Sur toutes les photos prises dans le restaurant Krone, à Aarberg, où l’UDC s’était réunie en attendant les résultats du vote sur l’initiative «Contre l’immigration de masse», on voit le conseiller national, poings fermés levés, le sourire presque carnassier.

«Ce n’est pas moi. J’aurais dû avoir plus de retenue, par égard pour les perdants. Mais vous comprenez, cette tension pendant tout l’après-midi… Soudainement, tout est retombé.» Albert Rösti est le nouveau chef de campagne de l’UDC pour les élections fédérales de 2015. «Pour la Suisse alémanique», précise-t-il, tout de go. «En Suisse romande, c’est Claude-Alain Voiblet. Et notre président, Toni Brunner, coordonne le tout.» Surtout, son nom circule toujours plus comme futur conseiller fédéral, susceptible de prendre la place de Johann Schneider-Ammann. L’UDC mise sur lui, tout comme sur Thomas Aeschi (ZG) et Heinz Brand (GR). Et le fait d’être chef de campagne lui donnera la visibilité nécessaire.

Mais qui est vraiment ce fils de paysan méconnu en Suisse romande, aux faux airs du sauteur à ski Simon Ammann et de l’humoriste Viktor Giacobbo? Jovial, plutôt calme, bon communicateur, très souriant, il a le contact facile. Président de la commune d’Uetendorf depuis le 1er janvier, le Bernois est ingénieur agronome, docteur en sciences techniques. Il est titulaire d’un MBA, cursus accompli à l’Université de Berne et à celle de Rochester, à New York, et il a travaillé comme secrétaire général du Département cantonal de l’économie publique.

Il y a un an, coup de théâtre. Il annonce sa démission du poste de directeur de la Fédération des producteurs suisses de lait, qu’il avait occupé pendant sept ans. En rogne contre les organisations régionales qui n’appliqueraient pas les décisions prises au comité central. «Au moins, il n’y a pas de problème ­d’indépendance maintenant que je suis devenu politiquement plus actif», dit-il aujourd’hui. En octobre, il a fondé sa propre société à responsabilité limitée, Büro Dr. Rösti, active dans la gestion de projets, la préparation d’analyses et de concepts pour des entreprises et associations.

Albert Rösti pique un fard quand on lui demande s’il veut ­devenir conseiller fédéral. Et botte en touche, le sourire en coin. «Ce thème n’est pas d’actualité. Je me concentre sur mon rôle pour les élections fédérales.» Mais, oui, il avoue, lui qui a été candidat malheureux au Conseil d’Etat bernois en mars 2010, vouloir faire de la politique «jusqu’à sa retraite». Ses parents et ses frères sont membres de l’UDC. «Mon père a toujours rêvé de faire de la politique. Mais, comme paysan – il produisait notamment des fromages à la montagne –, il ne trouvait pas le temps.»

Ses modèles? Silence. Albert Rösti hésite. Puis lance, calé dans son fauteuil du restaurant du Palais fédéral: «Ronald Reagan, au début. Et Adolf Ogi, qui vient aussi de Kandersteg.» Ils ont d’ailleurs fréquenté la même école. Et sont assez souvent en contact. Mais Albert Rösti insiste, comme par besoin de se justifier: «Nous avons des opinions divergentes. Il a voté pour l’EEE en 1992 et pour l’ONU en 2002, moi pas. C’est surtout son charisme, sa personnalité, sa facilité de contact – il salue tout le monde à Kandersteg! – qui m’impressionnent.»

D’ailleurs, l’ex-conseiller fédéral lui fait des débriefings de ses apparitions télévisées. Un peu comme un coach en communication. «Il m’a appelé la dernière fois que je suis passé dans l’émission de Schawinski. Il me donne des conseils sur comment me tenir, comment me comporter face à la caméra», commente-t-il dans un français correct. En fait, si Albert Rösti fait penser à Adolf Ogi par son côté jovial, il serait plus proche politiquement des idées de son acolyte bernois Adrian Amstutz, président du groupe parlementaire.

Il rectifie: «Vous avez vu le classement de la NZZ? Je me situe plutôt au centre du parti. Je suis en tout cas à gauche d’Adrian Amstutz.» Mais il déclare en même temps qu’il n’y a plus tant de différences, à part de style, entre l’UDC bernoise et l’UDC zurichoise. L’homme se veut conciliant. Il est du genre à lisser les aspérités, à arrondir les angles, pas à taper du poing sur la table. Du moins en apparence. A tel point que certains pensent que, derrière l’emballage, se cache quelqu’un de plus dur. «Je suis moi-même», rectifie Albert Rösti. «Je ne joue pas un rôle.»

Il joue par contre de la trompette et du tambour. «J’ai longtemps fait partie de la fanfare de Kandersteg; j’ai joué quand Ogi a été élu au ­Conseil fédéral puis quand il est devenu président de la Confédération, mais maintenant je n’ai plus le temps.» Et il adore danser. De la valse au cha-cha-cha. Il trouve son équilibre grâce à sa famille. Sa femme, hôtesse de l’air chez Swiss, qu’il a connue au collège, et ses deux enfants adolescents. Sans oublier les deux chiens.

Au Conseil national depuis 2011, le Bernois siège, sans surprise, à la Commission de l’envi­ronnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie. Tout en déroulant son parcours et en avalant une gorgée de Coca-Cola, il revient sur la votation du 9 février et la nécessité de freiner l’immigration: «Dans une ville comme New York, il y a encore de la place. Mais nous devons de notre côté veiller à préserver nos paysages.»

La polémique soulevée par les propos de Christoph Blocher contre les Romands, accusés d’avoir moins de «conscience nationale»? «Je n’ai pas eu l’occasion d’en parler avec lui, mais je ne peux pas m’imaginer qu’il ait voulu blesser les Romands.» D’ailleurs, l’amateur de ski de fond s’empresse de dire qu’il aime la Romandie, et estime être privilégié de venir d’un canton bilingue, «même si les francophones ne représentent que 6% de la population.» Il veut «couvrir la barrière de rösti». C’est lui qui le dit.

Les jeux de mots liés à son nom de famille, Albert Rösti en a goûté. Et ne s’offusque pas d’être assimilé à un plat de pommes de terre rissolées. Il en sourit même. «Mon père nous a toujours dit que Rösti n’avait rien à voir avec les patates, mais que cela signifierait «pentu», précise-t-il, en alliant le geste à la parole. «Sauf que je n’ai jamais réussi à me le faire confirmer par un historien.»

«Mon père a toujours rêvé de faire de la politique. Mais, comme paysan, il n’en a jamais eu le temps»