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Alerte à la grêle: les vignerons de Lavaux organisent la résistance

MétéoSuisse prévoit une réplique de l'orage du 18 juillet. Spécialiste de la lutte anti-grêle, Simon Vogel raconte le dispositif mis en place pour protéger près de 900 hectares de vigne.

Lundi il y a dix jours, le chat de Simon Vogel, pourtant aventurier, a refusé de sortir de la maison. C'est ce jour-là que la grêle s'est abattue sur la Riviera vaudoise, causant d'énormes dégâts, pas encore entièrement chiffrés. Nous sommes à Aran, village de la commune de Villette, dans le district de Lavaux. Simon Vogel est le responsable de la centrale de la lutte anti-grêle de Lavaux, une antenne de l'Association romande de lutte contre la grêle, qui protège un peu moins de 900 hectares de vignes.

Première surprise: cet endroit, pourtant stratégique, n'a pas de fenêtre et ne mesure pas plus de 20 m2 au sous-sol d'une maison. Hier après-midi, Simon Vogel se préparait à une récidive de grêle, suite à un bulletin de MétéoSuisse jeudi. Mais il ne semblait pas s'inquiéter pour autant.

Les 90 vignerons et agriculteurs de Lavaux participent bénévolement à l'association. Comme tout le monde, ils gardent un œil sur la météo. Ils ont les mêmes moyens que le simple pékin: ils regardent la télé, écoutent la radio, surfent sur Internet et reçoivent des fax. «Nous avons un abonnement à MétéoSuisse, qui nous envoie une image toutes les cinq minutes, c'est vraiment du direct», relève le responsable du secteur Lavaux. Puis les membres de l'association regardent par la fenêtre, sortent sur le palier et scrutent l'horizon, comme le faisaient les anciens. «C'est là que l'on peut le mieux juger de l'évolution d'un nuage et estimer le risque d'orage, voire, pire, de grêle. C'est une pratique qui vient à la longue. Et il faut aimer la météo», confie le vigneron. Chaque orage ne présente pas forcément un risque de grêle. «Mais quand il fait humide, que le soleil brille et qu'il fait si chaud, ce sont les conditions rêvées pour avoir de la grêle.»

Et si celle-ci s'invite, comme le 18 juillet, la centrale se met en état d'alerte. Il y a six chefs de secteur répartis sur le territoire de Lavaux, de Pully jusqu'aux hauts de Montreux. Ces six personnes sont reliées par radio les unes aux autres, ainsi qu'à une quarantaine de tireurs de fusées anti-grêle disséminés dans la région. Si la situation météorologique s'aggrave, l'alerte est transmise aux tireurs, qui rejoignent alors leur poste dans les vignes. «Chefs de secteurs et tireurs sont, tout comme moi, des gens qui travaillent la terre. Ils ont un métier à côté», rappelle le vigneron.

«Les fusées, même si leur effet est contesté, nous on y croit», renchérit Simon Vogel. Les leurs sont tirées depuis les champs et grimpent jusqu'à 2000 mètres, altitude de la base des cumulonimbus, les nuages d'orage. Leur but est d'aller «perturber les très forts courants thermiques directement à l'intérieur des nuages, pour que les grêlons tombent avant de devenir trop gros. Ensuite, on espère qu'ils ont le temps de fondre avant d'arriver sur nos vignes et nos cultures.» Les fusées anti-grêle sont chargées d'explosifs et de très fines poussières, des iodures d'argent. Ces mini-particules, projetées dans le nuage, empêcheraient la formation des grêlons en «répartissant» l'eau sur une plus grande quantité de grains de poussière. Ainsi, il y a potentiellement plus de grêlons formés, mais de taille plus petite. «Avant l'arrivée des fusées, mon prédécesseur à la centrale allait disséminer ces poussières d'argent à bord d'un avion. Là, il fallait vraiment le vouloir. Ça devait pas mal secouer avec les courants», confie Simon Vogel. A noter qu'une fois que la grêle a commencé à tomber, les fusées sont inefficaces. Il s'agit donc d'être prêt à intervenir à temps.

Une fusée coûte 250 francs pièce. Pour le matériel (fusées, postes de radio et «bips»), mais aussi pour les ordinateurs, la connexion internet, l'abonnement à MétéoSuisse, le téléphone et le fax, les communes de Lavaux versent une contribution. «En fonction de la surface de terre, des cultures et du nombre d'habitants, une somme est calculée et versée. Nous ne protégeons pas seulement nos vignes, mais aussi les maisons, les jardins, et les habitants de Lavaux», informe Simon Vogel.

Le 18 juillet, les agriculteurs et vignerons de l'antenne de Lavaux ont tiré leurs 60 premières fusées de la saison. «Tout dépend des orages, et ce n'est pas parce qu'il y a des coups de tonnerre qu'il va grêler», précise encore le jeune vigneron. «Dans ma famille, on n'avait jamais vu ça. L'intensité de l'orage, la force de la grêle. Les images satellite étaient très explicites. La cellule orageuse était énorme le 18 juillet. En arrivant d'Yvoire (en France) sur le lac, l'orage a encore doublé de taille. Une heure après, on a tiré nos fusées. On a donc eu le temps de réagir, mais l'orage était trop fort, il y a quand même eu des dégâts.»

Ce jour-là, le chat n'était pas sorti de la journée. «Cela ne lui arrive jamais. Cette fois-ci, je l'observerai, et s'il ne sort pas, je me méfierai», conclut Simon Vogel.