Boîte à idées
Notre brainstorming sur le site internet du «Temps» a suscité de nombreuses réponses. En voici l’essentiel, commenté par Rebecca Ruiz, Philippe Nantermod et Johan Rochel

Tout au long de cette année des 20 ans, Le Temps a traité plusieurs causes. La septième et dernière concerne le laboratoire politique helvétique.
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Le déficit de transparence du monde politique suisse est sans doute la préoccupation la plus souvent exprimée par nos lecteurs, comme il ressort de la chasse aux idées proposée sur notre site internet en octobre dernier dans le cadre du 20e anniversaire du Temps. Comment votent nos élus? Dans l’intérêt général selon leurs convictions politiques, ou pour servir les intérêts économiques et sectoriels dans lesquels ils sont aussi engagés? Bien qu’inhérente au parlement de milice, la place des lobbyistes sous la Coupole fédérale suscite de multiples critiques.
«Quelles sont vos idées pour améliorer le fonctionnement de la démocratie suisse?» avions-nous demandé à nos lecteurs. En particulier pour installer la transparence, renforcer la participation, améliorer le rapport de confiance envers les autorités et adapter le fédéralisme, quatre domaines où nous décelons des lacunes. Les réponses sur notre site ont été nombreuses, entre 80 et 150 selon les questions. Elles ont pris des formes multiples, de la proposition tenant en une simple phrase à de véritables exposés. Les participants: quelques «pros» de la réflexion politique et un grand nombre d’«amateurs». Parmi eux, bien que nous ne nous soyons pas livrés à une statistique précise, une nette majorité d’hommes.
Le numérique, une opportunité
Outre la question de l’indépendance des élus, notre brainstorming fait apparaître une autre frustration: celle d’une classe politique insuffisamment représentative de la société dans son ensemble, en particulier vis-à-vis des femmes, des étrangers, des jeunes et des milieux modestes. Il en ressort également l’espoir que l’irruption du numérique dans la vie politique rendra notre démocratie plus participative.
Parmi la masse des réponses reçues, nous avons retenu les 15 propositions listées ci-dessous, qui sont parfois des synthèses de diverses contributions. Si notre choix a porté sur les propositions orientées vers le changement, il ne faut pas en déduire que celles-ci sont unanimes, d’autres lecteurs estimant les remèdes pires que les maux. Du moins sont-elles généralement l’expression d’un souci largement partagé.
Les commentateurs:
Johan Rochel
Docteur en droit et philosophe, il est codirecteur du bureau Ethix. Il a contribué au mouvement foraus et fondé avec d’autres Appel Citoyen, qui présente des candidats à la Constituante valaisanne. Il traite de ses thèmes favoris, l’éthique et l’innovation, dans le blog qu’il tient sur letemps.ch
Rebecca Ruiz
La socialiste vaudoise siège depuis 2014 au Conseil national, notamment dans la Commission de la sécurité sociale et de la santé. Criminologue de formation, elle a présidé le PS lausannois. Présidente romande de la Fédération suisse des patients, elle tient une chronique bimensuelle dans Le Temps.
Philippe Nantermod
Après avoir présidé les Jeunes libéraux-radicaux suisses, ce Valaisan est depuis 2016 vice-président du PLR. Il a été élu au Conseil national en 2015. Docteur en droit de l’Université de Lausanne, il exerce comme avocat à Sion. Il signe deux fois par mois une chronique dans Le Temps.
■ Votre proposition pour améliorer le rapport de confiance entre les Suisses et ceux qui les gouvernent?
1. Sélection des élus par tirage au sort.
Pour que le corps politique soit représentatif de toute la population, mais aussi pour améliorer la confiance et la participation. Cela pourrait être un parlement mixte: 30 à 50% d’élus, le reste issu du tirage au sort.
- Ce qu’il faut améliorer pour une plus juste représentativité, c’est la participation politique générale. La charge des élus est très importante, il importe qu'ils soient des gens motivés et préparés pour cette charge. Le tirage au sort ne le garantit aucunement. Rebecca Ruiz
2. Des chiffres fiables.
Une instance indépendante de chiffrage des propositions évaluerait avant les votations les conséquences probables du vote. Afin que cessent les batailles de chiffres qui noient le citoyen dans des statistiques, sans qu’il puisse savoir auxquelles il peut faire confiance.
- Un chiffrage considéré comme fiable et non partisan aurait le mérite de clarifier l’aspect financier, qui prend selon moi souvent trop d’importance lors des débats sur des projets de société. R.R.
- L’idée de systématiser les études d’impact quantitatives des objets politiques me paraît très intéressante. La qualité des décisions prises augmenterait. Les données existent, il faut maintenant les ouvrir à tous les acteurs, comme le demande le mouvement Open Data. Johan Rochel
- En théorie, l’administration le fait. On pourrait imaginer de confier cela à des tiers, pourquoi pas. Mais il y a un problème de liberté d’expression: chacun a le droit de donner ses propres arguments, ce qui inclut ses propres chiffres. Philippe Nantermod
3. Créer une Cour constitutionnelle.
Une telle instance permettrait de trancher sur la validité des initiatives populaires avant le vote, afin d’éviter que l’on n'accepte des propositions inapplicables, au risque de trahir ensuite la volonté populaire.
- Dans les pays où de telles cours existent, le peuple n’a pas la possibilité de changer la Constitution. La question mériterait une analyse approfondie sur son application dans une démocratie directe comme la nôtre. R.R.
- C’est au parlement de trancher la validité des initiatives, il peut le faire, mais ne le fait pas vraiment. Peut-être faut-il envisager que l’avis sur la validité ne soit plus donné par le Conseil fédéral, dont l’approche est très politique, mais par un organe tiers, par exemple le Tribunal fédéral, dont l’approche est plus juridique. P.N.
4. Deux mandats seulement.
En limitant la fonction à deux législatures, on éviterait qu’une «caste politique» ne s’installe durablement. Le cumul des mandats devrait aussi être interdit et une limite d’âge fixée à 65 ans, pour accélérer le renouvellement de la classe politique.
- Je suis favorable à une limitation des mandats, mais deux législatures ça me paraît court vu le temps nécessaire pour devenir un fin connaisseur des dossiers complexes. R.R.
- Deux législatures, pourquoi pas. C’est peut-être un peu court. Je dirais trois. Le cumul des mandats, c’est parfois la seule solution pour trouver des candidats pour le niveau local. 65 ans? Evidemment non. Le peuple doit choisir qui il veut, y compris des retraités. P.N.
5. Impôts modulables.
Le contribuable devrait avoir son mot à dire sur l’utilisation des moyens publics et pouvoir influencer l’affectation d’une petite partie (5%) de ses impôts en fonction de ses propres priorités, pour l’éducation, l’armée, l’environnement, etc.
- Les outils de la démocratie directe permettent de le faire: avec une initiative populaire, je peux demander de modifier la manière dont l’argent public est utilisé. J.R.
6. Redistribuer le bénéfice de la Confédération.
Le surplus de la caisse fédérale pourrait être ristourné chaque année à parts égales à tous les contribuables.
- Le bénéfice de la Confédération est lui-même un choix politique. Et le parlement est saisi de programmes d’économies en permanence, alors même que les comptes sont positifs! R.R.
- Il faudrait un pourcentage de «bénéfice» autorisé pour constituer des réserves et amortir la dette, mais pour le reste, je trouve l’idée intéressante et assez juste. Mais la redistribution devrait se faire au prorata de l’impôt payé. Le but de l’impôt n’est pas la redistribution des richesses. P.N.
■ Votre proposition pour améliorer le taux de participation?
7. Prise en compte du vote blanc.
L’inclure dans le calcul du résultat donnerait une voix à ceux qui désirent exprimer qu’aucun choix ne leur convient. Une majorité de votes bancs traduirait un vote sanction, entraînant l’obligation de proposer d’autres solutions/d’autres candidats.
- Mieux comptabiliser, pourquoi pas… Mais le problème du vote blanc est bien de savoir ce qu’il veut dire: désintérêt pour la question, rejet complet des propositions en présence, contestation plus profonde du système? Valoriser le vote blanc, c’est faire croire qu’il permet de passer un message… mais ce n’est qu’en s’engageant qu’on le fait. R.R.
8. Droit de vote aux enfants.
Jusqu’à ce qu’ils aient l’âge de voter par eux-mêmes (14 ou 16 ans), ce droit serait exercé par les parents. But: donner davantage de poids aux familles, moins aux personnes âgées. Option moins radicale: donner le droit de vote aux 16-18 ans et aux étrangers établis. Augmenter le corps électoral pour faire participer les plus jeunes à la vie publique et mieux intégrer ceux qui vivent et travaillent en Suisse et contribuent à sa prospérité.
- L’idée du droit de vote à 16 ans me paraît sensée. Des mesures doivent être prises pour renforcer l’information politique et encourager l’exercice des droits civiques de ceux dont l’avenir se joue à chaque votation. En Autriche, cela a porté ses fruits. R.R.
- L’absence de droit de vote des étrangers établis représente à mon avis un déni de démocratie à corriger le plus vite possible. Le vote des enfants est problématique à cause de la délégation, mais pose une question intéressante: comment donner une voix à la génération montante dans les débats qui la concerneront. J.R.
- J’y suis opposé. P.N.
9. Voter moins.
On vote trop souvent, parfois sur des objets éloignés de nos préoccupations quotidiennes. Solution: augmenter le nombre de signatures requises pour faire aboutir initiatives et référendums, resté le même malgré la croissance démographique. Variante: instaurer un taux minimal de participation (50%) ou une majorité qualifiée (2/3 des voix) pour que les initiatives soient acceptées.
- Réjouissons-nous d’une démocratie vivante et utilisée! La discussion sur le nombre de signatures doit se faire en coordination avec les évolutions technologiques qui vont bientôt atteindre le cœur du système politique. J.R.
- L’option d’augmenter le nombre de signatures pourrait être étudiée. Je suis par contre opposé aux majorités qualifiées ou aux règles de quotas. P.N.
10. Créer une identité numérique.
Chaque citoyen devrait disposer grâce à la blockchain d’une telle identité, qui lui permettrait de voter en ligne, de signer des initiatives en ligne, etc. Autre proposition: des débats ouverts en ligne permettant aux citoyens d’influencer directement les décisions politiques, leur insufflant une dose de démocratie participative.
- Cette idée est essentielle, liée à la confiance dans les outils numériques et à la protection de notre identité en ligne. Les discussions actuellement en cours montrent un malaise: est-ce vraiment la mission d’acteurs privés d’assurer cette identification officielle? Pourquoi l’Etat se défausse-t-il? J.R.
- Pourquoi pas? Pour peu que la proposition ne soit pas trop compliquée à mettre en œuvre. P.N.
11. Récompenser le vote.
Plutôt qu’une sanction, un rabais fiscal ou autre incitatif pour les citoyens qui remplissent régulièrement leur devoir.
- Voter est un devoir citoyen, on ne l’accomplit pas en échange d’un avantage, mais pour participer aux choix collectifs de la société. R.R.
■ Votre proposition pour améliorer la transparence de la vie politique?
12. Conseil d’administration proscrit.
Les élus ne pourraient plus siéger au conseil d’administration de grandes entreprises ou organisations, pour s’assurer qu’ils œuvrent dans l’intérêt général et limiter l’influence des lobbys. Variante: interdire aux élus de prendre part à un vote sur une politique publique en lien avec le domaine de l’entreprise où ils siègent. Les revenus publics de ceux-ci pourraient être augmentés, le prix d’une certaine professionnalisation.
- Le système de milice est basé sur la présence de lobbys au sein même du parlement. Ce qui est problématique, c’est qu’un lobby tel que celui des assurances maladie soit présent sous la Coupole dès lors que les caisses ont un mandat direct de la Confédération pour appliquer la LAMal et que les parlementaires ont le devoir de surveiller l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), qui lui surveille les caisses. On ne peut être à la fois surveillé et surveillant, régulateur et régulé. R.R.
- Je ne crois pas à l’interdiction comme moyen de limiter l’influence. Par contre, il faut renforcer la transparence. Les liens d’intérêts doivent être facilement accessibles et présentés de manière compréhensible. J.R.
- Les règles de récusation, j’y suis favorable, mais elles sont très compliquées à mettre en œuvre en pratique. P.N.
13. Comptes publics.
Les comptes des partis, des comités d’initiative et des comités référendaires doivent être rendus accessibles, «le meilleur moyen de diminuer le rôle de l’argent en politique». Variante: une base de données publique sur les politiciens suisses, contenant CV, positions politiques, promesses et résultats, sources de financement et liens avec les lobbys, obligatoirement déclarés.
- La Suisse demeure le seul pays d’Europe à ne connaître aucune règle sur le financement des partis. L’initiative sur la transparence lancée par le PS demande que les partis transmettent à la Chancellerie fédérale l’origine de tout don d’un montant supérieur à 10 000 francs. Les personnes ou comités dépensant plus de 100 000 francs pour une campagne sont également tenus de déclarer les dons importants. Les chiffres sont rendus publics avant les élections ou votations. R.R.
- La piste de la transparence comme outil d’amélioration de la confiance me paraît la plus prometteuse. Les informations doivent être mises à disposition de tous les citoyens, afin que chacun puisse se faire un avis. Tous les financements qui ont un impact pertinent sur la vie publique devraient être connus. J.R.
- J’y suis opposé. P.N.
■ Votre proposition pour réformer le fédéralisme
14. Des communes de 5000 habitants minimum.
Réalisé par fusions, cet objectif doit permettre aux élus locaux de mieux accomplir leur tâche, avec des moyens financiers supérieurs. Indispensable pour maintenir le niveau communal efficace et éviter trop de centralisation à terme.
- La taille idéale des communes est donnée par leur cahier des charges: une commune trop petite ne peut remplir ses missions pour les citoyens. La mise en réseaux des compétences communales, la stratégie des «petits pas», devrait conduire à plus de fusions. J.R.
- C’est une question de droit cantonal, si l’on veut respecter un peu le fédéralisme. Et je ne vois pas l’intérêt d’imposer des fusions à des gens qui n’en veulent pas. P.N.
15. Des sièges pour les villes au Conseil des Etats.
Il faut renforcer le poids politique des centres urbains, où vit la grande majorité de la population, alors que le poids des petits cantons s’est fortement renforcé. Ou s’inspirer du système allemand, qui pondère le poids des Länder au parlement selon leur population. Autre option: donner aux villes des compétences supplémentaires, pour expérimenter dans les domaines de la mobilité, de l’aménagement du territoire, des nouvelles technologies ou de la formation professionnelle.
- Je suis très favorable à cette idée qui a plusieurs fois été débattue sans succès. Les grandes villes suisses devraient avoir plus de poids au parlement car le système n’a pas changé depuis 1848. Ces villes sont la plupart du temps des laboratoires d’évolutions sociales et sociétales. R.R.
- Absolument contre. Les communes ne sont pas souveraines et les Etats de la Confédération sont les cantons. Les villes sont déjà extrêmement bien représentées dans la politique fédérale. P.N.