Le Conseil fédéral se penche ce mercredi sur l’initiative populaire Rasa («Sortons de l’impasse et renonçons à établir des contingents d’immigration»). Lancée par un collectif de citoyens réunissant entrepreneurs et intellectuels, cette initiative a abouti il y a an avec 108 000 signatures. Son objectif: abolir les articles constitutionnels que les Suisses ont approuvés le 9 février 2014 avec l’initiative de l’UDC contre l’immigration de masse. On s’attend à ce que le gouvernement suisse rejette cette initiative. Il pourrait toutefois se prononcer en faveur d’un contre-projet, par une décision de principe à concrétiser dans les prochains mois. Le professeur honoraire de droit constitutionnel Andreas Auer, qui est l’un des pères de Rasa, commente les attentes des initiants.

Le Temps: Le Conseil fédéral doit se prononcer demain sur votre initiative. Qu’espérez-vous?

Andreas Auer: Nous nous attendons à ce que le Conseil fédéral prenne la décision de principe d’opposer un contre-projet direct à notre initiative. Très bien, nous en prenons note en attendant de pouvoir nous prononcer sur un texte une fois que nous le connaîtrons. L’annonce du Conseil fédéral a certes pour effet de prolonger de six mois son délai de réponse à notre initiative, mais je ne crois pas qu’elle serve uniquement à gagner du temps: l’idée d’un contre-projet est dans l’air depuis un certain temps et trouve des soutiens dans les partis également.

Que devrait contenir un contre-projet pour permettre le retrait de l’initiative?

– Elle ne peut être retirée qu’à deux conditions. Premièrement, que les accords bilatéraux soient maintenus comme approche centrale des relations entre la Suisse et l’Union européenne (UE), alors qu’ils sont directement menacés depuis le vote de février 2014. Deuxièmement, que la sécurité du droit soit rétablie, par une clarification durable de nos relations avec l’UE. Le flou actuel est catastrophique, il bloque les grands projets de recherche et dissuade les entreprises de s’établir. Un responsable immobilier me disait hier encore que les grandes sociétés comme ABB n’envoient plus personne en Suisse, mais favorisent le départ de leurs cadres. On ne les fait pas venir pour un an ou deux. Le projet de loi du Conseil national, qui prévoit de réévaluer la situation chaque année, n’est pas acceptable de ce point de vue.

Diverses hypothèses circulent sur ce que pourrait contenir le contre-projet. Comme l’inscription dans la Constitution de la prééminence des accords bilatéraux ou la suppression du terme «contingents». Qu’en pensez-vous?

– Il y a de nombreuses propositions dans l’air et cela ne fait pas grand sens de se prononcer à ce stade. Nous nous déterminerons sur la base du contre-projet qui aura été voté par le parlement. Nous sommes évidemment contre les contingents!

– Croyez-vous vraiment à la possibilité de gagner un vote populaire?

– Absolument! Le vote du 9 février 2014 s’explique par des facteurs multiples, comme le ras-le-bol des étrangers ou des trains bondés. Mais si l’on pose la question du choix à faire entre les contingents d’un côté et la poursuite de la voie bilatérale et des bonnes relations avec nos voisins de l’autre, nous gagnerons haut la main. Les sondages montrent que les Suisses sont attachés aux accords bilatéraux. Notre initiative est la meilleure manière de poser cette question clairement.

– N’y a-t-il pas du formalisme chez ceux qui, comme vous, dénoncent l’incompatibilité complète entre la solution avancée par le parlement (et que l’on désigne par la «préférence indigène light», ndlr) et l’article constitutionnel voté par les Suisses en février 2014. Entre le noir et le blanc, ne trouve-t-on pas toujours une solution pragmatique?

– On voit très bien que l’UE ne veut pas renégocier l’accord sur la libre circulation et que nous sommes dans l’impasse dont notre initiative a pris le nom (Rasa pour «Raus aus der Sackgasse»). Ce projet de loi fait semblant de régler un problème, il ne le règle en rien. Cela saute aux yeux et c’est se moquer de la démocratie directe. Du coup, l’UDC a beau jeu de s’ériger en seule force capable de défendre la voix du peuple. Il est par ailleurs facile de dénigrer l’UE, actuellement confrontée à de grands problèmes économiques et migratoires.

– Peut-on miser sur un déclin de l’immigration pour résoudre la situation en douceur ces prochaines années?

– Je ne suis pas économiste! J’entends comme vous que la croissance et l’immigration qui y est liée ralentissent. Les contingents, les plafonds et la préférence indigène ont pour seul effet d’amener de la bureaucratie et de la discrimination. Ils ne réduisent pas l’immigration pour autant. Celle-ci est déterminée par la marche de l’économie et c’est très bien comme ça.

Face à la volonté populaire exprimée le 9 février 2014, la Suisse ne fait guère d’efforts. L’immigration continue de croître, tout comme le nombre des frontaliers, tandis qu’on élève le plafond pour les extra-Européens…

– On veut le beurre et l’argent du beurre. Et le malheur est créé par le texte de l’article constitutionnel lui-même. Cela explique le louvoiement de nos autorités, qui ne savent trop que faire. On tente bien de promouvoir le travail des aînés et des femmes, mais sans que cela soit poursuivi de manière trop conséquente.

Comment jugez-vous l’attitude du Conseil fédéral face à la question européenne?

– Il est coincé dans un dilemme cornélien. Je ne l’envie vraiment pas, il est plus simple d’être citoyen, de lancer des initiatives et de voter. Le fait que le gouvernement ait attendu le dernier jour du délai pour répondre à notre initiative indique que la discussion a été très animée entre les sept, qui représentent quatre partis politiques. Je serai le dernier à dire du mal de nos autorités. Il n’y a que le peuple qui pourra résoudre le dilemme.