«Ma religion, ce sont les droits humains», résume Anni Lanz. Une conviction qui lui colle à la peau. Agée de 73 ans, la Bâloise a passé ces quarante dernières années à se battre. Contre quoi? «Non, pour qui, corrige-t-elle aussitôt. Pour toutes les personnes qui se trouvent dans une situation précaire.»

En août, Anni Lanz a été reconnue coupable de violation de la loi fédérale sur les étrangers pour avoir tenté de ramener en Suisse un demandeur d’asile expulsé. Une décision pour laquelle elle fait recours auprès du Tribunal fédéral, dans l’espoir que son cas fasse jurisprudence et donne l’impulsion nécessaire à une révision de la procédure d’attribution des demandes d’asile.

Tom, comme elle le surnomme, un Afghan de 25 ans, avait été expulsé à Milan. «Il était dans une situation d’urgence, car il suivait un traitement psychiatrique, dormait dehors et s’était fait voler ses affaires, dont ses médicaments», souligne-t-elle. Informée de sa situation, elle saute dans le premier train pour le rejoindre et, ne trouvant pas d’aide sur place, essaie de le ramener en Suisse.

Mais la voiture est immobilisée à la frontière. «Il a été renvoyé à Domodossola et mis à la rue», dénonce-t-elle. L’aide de la parlementaire tessinoise Lisa Bosia Mirra lui permet de déposer une demande d’asile et d’obtenir une place dans un centre situé dans un village. Il est hospitalisé quelques semaines après, puis porté disparu. «C’est la dernière fois que je l’ai vu», souffle-t-elle. Une absence qui l’empêche de porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme.

La fougue de la jeunesse

Son sursaut politique s’est produit alors qu’Anni Lanz avait presque 30 ans. «Comme femme mariée, j’étais effrayée par le peu de possibilités qui s’offraient à moi dans les années 1970, raconte-t-elle. Je voulais travailler et ne pas être isolée avec pour principale occupation l’éducation de mes enfants.» Pour poursuivre ses études et ses engagements, la militante choisit de ne pas devenir mère.

«Avec le mouvement des femmes, nous avons tout remis en question: notre rôle au sein de la famille, notre place dans la société et de la politique», énumère-t-elle avec ardeur. Elle a ainsi participé aux discussions et manifestations organisées en Suisse. «Certaines actions étaient radicales, parfois trop, mais elles étaient nécessaires et ont eu le mérite d’aboutir», dit-elle un sourire en coin.

Exaltée par ce succès, elle ne veut pas s’arrêter là. Alors gérante d’un restaurant, elle décide avec des amies d’ouvrir en parallèle un cabinet de consultations juridiques bénévole pour aider les femmes turques et kurdes. Elle organise des actions dans sa ville, mais les subtilités des demandes d’asile lui échappent encore. Pour apprendre, elle déniche un poste à mi-temps au sein d’un cabinet d’avocats spécialisé dans ce domaine.

Anni Lanz cumule les casquettes et intègre un réseau de citoyens qui hébergent illégalement des personnes en situation irrégulière. «Nous étions une dizaine et les déplacions de ville en ville», se souvient-elle. Elle s’intéresse également aux mouvements en faveur de la paix dans le monde ou de l’écologie et se rend en Angleterre et en Allemagne pour «bloquer des centrales nucléaires, glisse-t-elle. J’étais jeune, je voulais tout faire en même temps.»

Un rythme effréné, qu’elle suivra pendant seize ans, jusqu’à l’essoufflement. Elle concède que ses attentes étaient trop élevées envers elle-même, ses collègues, voire la société: «Ce qui pour moi est du registre de l’inné, l’égalité entre tous les êtres humains, reste un sujet clivant. La politique avance à petits pas.»

Un esprit impétueux

En 1996, elle intègre Solidarité sans frontières et poursuit son combat pour les droits des requérants d’asile en devenant la secrétaire générale de l’association. Un poste qu’elle occupera pendant douze ans. «J’ai réussi à convaincre plusieurs parlementaires de s’unir pour améliorer les conditions d’accueil des femmes migrantes», précise-t-elle avec satisfaction.

Une lutte qui la conduit à la quatrième Conférence mondiale sur les femmes, organisée par les Nations unies à Pékin. «Les requérantes d’asile étaient ignorées par les autorités et considérées comme des «femmes de», mais elles ont leurs propres raisons de fuir, comme le viol ou le mariage forcé», souligne-t-elle.

Aujourd’hui, Anni Lanz se dit «épuisée», mais son état d’esprit reste inchangé. Sous ses fines lunettes, un regard déterminé. Et derrière sa frêle silhouette, des idées imposantes. Elle se concentre désormais sur un seul front, l’aide aux requérants d’asiles déboutés.

Elle leur rend visite, deux fois par semaine, dans une prison bâloise. «Je leur apporte une aide juridique, les aide à contacter leurs proches et les représente devant le tribunal par le biais d’une procuration, détaille-t-elle. Je fais aussi en sorte qu’ils soient accompagnés, même s’ils sont expulsés.» Un soutien qu’elle leur apporte depuis quinze ans.

«Je marche péniblement, mais tant que je peux encore y aller, je fonce», déclare-t-elle. Anni Lanz tourne son regard vers la fenêtre et poursuit: «Année après année, l’UDC s’est renforcée en se positionnant contre l’étranger, contre l’immigration; mais je sens le vent tourner et cela me rassure pour l’avenir.»

Celle qui un temps s’imaginait institutrice aux Beaux-Arts a raccroché les pinceaux au gré de ses combats: «Peindre demande une certaine tranquillité d’esprit.»


Profil

1946 Naissance à Bâle.

1966 Etudes à l’Académie des beaux-arts de Bâle.

1971 Etudie la sociologie à Bâle, puis à Zurich, et début de la lutte pour l’égalité des femmes.

1989 Création de Manolya, lieu d’aide juridique pour les femmes kurdes et turques.

1996 Secrétaire générale de Solidarité sans frontières.

2018 Arrestation à la frontière et ordonnance pénale.