Affrontement
L’installation d’une antenne de Salt à Orbe provoque une levée de boucliers. Un exemple qui illustre les combats juridiques fréquents entre opérateurs et municipalités alors que les effets néfastes du rayonnement électromagnétique sur la santé se précisent

«Pour moi, l’installation d’une telle antenne est un arrêt de mort», lance Léon Warnier. L’homme se bat contre une demande de permis de construire déposée par Salt pour ériger un émetteur à quelques mètres de ses fenêtres. Souffrant d’électro-hypersensibilité, il est intolérant aux rayonnements électromagnétiques qui lui font subir de violents acouphènes, douleurs musculaires, vertiges et troubles cardiaques. Une centaine de voisins se sont joints à son opposition. En conséquence, la municipalité d’Orbe a refusé de délivrer le permis de construire. Salt fait recours auprès du tribunal cantonal.
Bataille judiciaire
A cette procédure ordinaire s’ajoute une bataille judiciaire. Fin août 2017, deux des vingt-six opposants parties à la procédure administrative déposent une plainte pénale contre Salt pour faux dans les titres et tentative d’escroquerie au procès. Basés sur des observations faites par Léon Warnier sur le dossier du projet de Salt, ils demandent la suspension de la procédure administrative jusqu’à ce que lumière soit faite au pénal sur ces accusations. Pour chaque nouvelle antenne, une fiche conforme à l’Ordonnance sur la protection contre le rayonnement non ionisant (ORNI) doit en effet être remise par l’opérateur aux autorités. «Aidé de deux ingénieurs et d’un physicien, j’y ai décelé 21 indications incorrectes qui, toutes, allaient dans le sens de l’opérateur», raconte l’électro-hypersensible, juriste et criminologue de formation: «Nous avons prouvé que cette fiche n’est pas conforme à l’ORNI.»
Le 15 septembre, la procureure a toutefois décliné la requête de suspension du recours déposé par Salt au tribunal cantonal et, au contraire, demandé la suspension de l’instruction pénale pour une durée indéterminée. Estimant que cette décision n'est pas fondée en droit, les plaignants déposeront sous peu un recours auprès de la chambre des recours pénale. «Pour l’instant tout est gelé», explique Léon Warnier. Contacté, Salt n’a pas souhaité s’exprimer dans les médias tant que la procédure est en cours.
Communes et opérateurs croisent le fer
Cette affaire, bien que particulièrement complexe dans le cas d’espèce, illustre un affrontement récurrent. Lorsqu’un opérateur de télécommunication décide d’installer une antenne, il propose un loyer au propriétaire de l’immeuble ou de la parcelle convoitée. Le canton évalue ensuite le projet. Si celui-ci respecte les normes en vigueur, les autorités cantonales invitent la commune à délivrer un permis de construire. Face à la grogne des habitants, les municipalités font toutefois souvent opposition. Avec de maigres chances de victoire. Syndic d’Orbe, Henri Germond en est conscient: «Une telle action en justice a été menée de nombreuses fois par les communes, et, malheureusement, perdue de nombreuses fois», déplore-t-il au micro de la RTS.
En 2012 pourtant, la petite commune bernoise d’Urtenen-Schönbühl (BE) gagnait son combat au Tribunal fédéral. Le parquet déboutait alors un projet d’antenne sur la base d’un plan communal préexistant qui définit les zones non destinées à l’habitat comme prioritaires lors de nouvelles implantations d’émetteurs. «Nous avons été tranquilles un moment», commente Hansjörg Lanz, secrétaire communal. Qui déchante: «Arguant de nécessaires avancées techniques, les opérateurs sont malheureusement revenus à la charge et nous avons tout de même été forcés d’accueillir une antenne en zone résidentielle».
La santé ou la 5G?
La reconnaissance des effets néfastes du rayonnement sur la santé va grandissante. L’Organisation mondiale de la santé considère ainsi les ondes utilisées dans la téléphonie mobile et le wifi comme possibles cancérigènes depuis 2011. L’intolérance aux rayonnements électromagnétiques est également reconnue dans plusieurs pays d’Europe tels que le Royaume-Uni, la Suède, la France et l’Italie. Avec à la clé aides et rentes d’invalidité pour les souffrants. En Suisse, les autorités fédérales demeurent dubitatives. En charge du dossier, l’Office fédéral de l’environnement indique ainsi que, lors d’essais contrôlés en laboratoire, «les personnes se décrivant comme électrosensibles n’étaient pas à même de reconnaître avec certitude la présence d’un champ généré aléatoirement».
Même en dessous de la limite légale, le rayonnement n’est toutefois pas inoffensif
Si les électro-hypersensibles demeurent une exception, les normes d’émission en vigueur en Suisse sont-elles pour autant suffisantes pour protéger d’un rayonnement excessif? «Les limites de l’ORNI ont été établies à la fin des années 1990, quand beaucoup d’installations étaient déjà en place», explique Pierre Dubochet, ingénieur radio mandaté pour l’expertise du projet de Salt à Orbe: «Il a fallu trouver un entre-deux pour ne pas devoir tout démonter. Même en dessous de la limite légale, le rayonnement n’est toutefois pas inoffensif.»
En comparaison européenne, les normes suisses sont pourtant relativement strictes. Selon le directeur de Swisscom, Urs Schaeppi, il sera ainsi extrêmement difficile d’offrir la technologie 5G, annoncée pour 2020, dans le cadre légal actuel.