A son ouverture en 1995, la clinquante galerie Alliance fut surnommée Archamps-Elysée. Vingt ans plus tard, elle est devenue Archamps… de ruines. Les nombreux Genevois qui se rendent au cinéma Gaumont-Pathé, à un kilomètre de la frontière suisse, ne s’y attardent plus. Sitôt la fin du film, on rentre. Que faire d’autre? L’imposant bâtiment est désormais une friche.

Un restaurant et un vendeur de livres et de CD font de la résistance, mais, pour s’y rendre, il faut contourner l’édifice en suivant un parcours fléché et entrer par des accès de secours. Le 28 septembre dernier, Xavier Pin, le maire d’Archamps, a pris la décision de fermer la galerie commerciale pour des raisons de sécurité. Et si le Gaumont-Pathé a pu continuer à exploiter ses onze salles, ce fut à la condition d’ériger un mur de séparation. Cette déliquescence porte un nom, selon l’ensemble des élus locaux: Cases Investissement, une holding dirigée par le Parisien Thierry Reverchon, un promoteur immobilier spécialisé dans les espaces ludiques.

Reprise datant de 2013

En 2013, celui-ci s’engageait à acquérir la galerie, en liquidation judiciaire à l’époque, moyennant 3,6 millions d’euros, au nom de la société SCI Archamps Patrimoine. Le projet était pour le moins alléchant. Thierry Reverchon promettait d’injecter 10 millions d’euros afin de réhabiliter l’ensemble, d’ouvrir un bowling ainsi qu’un supermarché et des restaurants. Le très glauque et insalubre parking souterrain devait être totalement rénové.

Mais la réfection n’a pas eu lieu et aujourd’hui, c’est la guerre entre les élus locaux et le promoteur. L’administrateur judiciaire n’a jamais reçu la somme promise, soutiennent les élus auxquels Thierry Reverchon ne parle plus. Plus grave, SCI Archamps Patrimoine serait en redressement judiciaire. Jointe par «Le Temps», Déborah Benech, l’avocate de Thierry Reverchon, confirme ce dernier point, mais elle affirme en revanche qu’une somme de près de 5 millions d’euros a bel et bien été versée à Me Pellegrini, le mandataire liquidateur chargé des opérations de vente. Le cabinet de ce dernier, situé à Saint-Maur, dans la région parisienne, a confirmé au «Temps» que le virement avait été effectué le 19 avril 2013.

Multiples attaques

Pour l’avocate, son client peu introduit politiquement dans la région est la victime d’une cabale montée par des élus locaux que le rachat embarrassait. «Mon client ignorait certaines coutumes du terroir, comme la gestion assez étrange en association libre syndicale (ALS) de l’immeuble et non en copropriété. Selon ce système, il possédait 25% de droits de vote, mais devait assumer 75% des charges totales, ce qui revenait à l’asphyxier.» Thierry Reverchon, qui a acquis la galerie sur des fonds propres, a été ensuite lâché par les banques, «notamment lorsque la facture de rénovation de la surface commerciale a été gonflée par l’architecte pour atteindre 7 millions d’euros», indique Me Benech. Elle poursuit: «Nous sommes en procès contre ce dernier, nous attaquons aussi l’ALS et le maire d’Archamps.» La juriste estime que la fermeture administrative arrêtée par Xavier Pin doit concerner tout le bâtiment Alliance et non pas seulement la galerie commerciale.

Elu en 2014, Xavier Pin qualifie de son côté Thierry Reverchon de «spéculateur». «Son idée était de mettre de l’argent sur la table, de faire signer des baux aux commerçants, de tout revaloriser puis de revendre à un prix fort. Mais cela ne marche pas ainsi chez nous», confie-t-il.

Folie des grandeurs

Désormais isolé de la galerie, Gaumont-Pathé a décidé d’investir dans un écran géant Imax à laser qui sera opérationnel fin 2017, d’ouvrir deux restaurants et trois cents places de parking supplémentaires. «Notre multiplexe, c’était un million d’entrées par an, l’une des meilleures performances en France. On a chuté à 700 000 ces dernières années à cause de la dégradation de la galerie. Nous ne comptons plus que sur nous pour redresser la barre, avec le soutien des élus», explique Frédéric Pellet, le directeur du complexe. L’avocate de Thierry Reverchon envisage aussi d’attaquer le multiplexe «car le mur de séparation empiète sur la galerie». «En fait, tout semble avoir été fait pour permettre aux gens de Gaumont-Pathé de se développer, ils ouvrent un circuit de restauration en lieu et place de mon client.»

Cette histoire a tout d’un ratage et d’une ambition mal contrôlée. Car si la Technopole voisine est une vraie réussite avec ses 2000 salariés, ses 200 entreprises et son BioPark qui travaille sur les maladies du vieillissement, Alliance se résume à un fiasco en raison d’une succession de stratégies commerciales non adaptées. Bernard Gaud, l’ancien président de la Communauté de communes du Genevois, lâche: «On aurait dû en fait démolir ce bâtiment. A l’époque, on avait la folie des grandeurs, on voulait prouver à Genève qu’on pouvait faire aussi bien qu’elle, qu’un essor économique tout à côté de la Suisse était possible.»