Elle est rentrée une semaine plus tard, fatiguée. Enseignante dans une école primaire genevoise, Arielle Christe était en route vers sa classe quand son téléphone a sonné. «Prépare tes affaires, tu vas être mobilisée», l’avertit au bout du fil un membre de l’association suisse Redog. Elle a tout juste le temps de toucher un mot à ses élèves de 7 ans. Plus tôt, à l’heure du petit-déjeuner, elle apprenait par la radio que la terre avait tremblé au Moyen-Orient. L’étendue de la catastrophe n’était alors pas connue. «L’ampleur des dégâts est inimaginable», raconte celle qui est arrivée avec la chaîne suisse de sauvetage à l’aéroport d’Adana dans la nuit, vingt-quatre heures après le séisme.
«Tout est en bas»
Dans le car qui amène les secouristes suisses à leur zone de mobilisation à Antakya (Antioche), elle voit les immeubles à terre et entend les sirènes des ambulances qui font chemin inverse pour évacuer les blessées. «Tout est en bas. Les bâtiments qui tiennent sont fissurés. Plus personne ne pourra vivre dans ces immeubles», rapporte-t-elle. Pendant une semaine, par tranche de douze heures, elle opère comme cheffe d’équipe: elle observe les chiens et leur conducteur, donne des instructions.
Sa chienne, Naya, en pleine formation pour le sauvetage, n’a pas encore l’expérience nécessaire pour partir en intervention. Arielle Christe, oui. Elle a pris son premier chien à l’âge de 16 ans. Chaque fois, elle a formé son compagnon à la recherche de personnes disparues au sein de l’association. Une vingtaine de médailles pour sa chienne Haïka, remportées au fil des examens de Redog, sont bien gardées dans une vitrine du salon. A tout juste 30 ans, Arielle Christe est mobilisée en Turquie (1992), puis à Taïwan (1999) et à Sumatra (2009). «Leur flair est miraculeux.» Miracle: ce terme revient dans sa bouche, à l’évocation des capacités des chiens et des opérations réussies en Turquie.
Onze personnes ont été sauvées par la chaîne suisse de sauvetage. Quarante autres ont été sorties des décombres par l’association turque GEA en collaboration avec des bénévoles de Redog. «Une goutte d’eau dans un océan de misère», souffle-t-elle. «Vu l’ampleur des dégâts, nous n’imaginions pas sortir tant de survivants.»
Une famille a été extraite des décombres trois jours et trois nuits après le séisme: un bébé, sa mère et le grand-père. Un autre nourrisson par les secours suisses, et également un homme coincé dans une cage d’ascenseur, énumère-t-elle. Il faut parfois jusqu’à dix heures de travail continu pour localiser et sortir une personne des décombres. «Une vie sauvée n’a pas de prix», murmure-t-elle. Les sauveteurs se confrontent à des issues malheureuses. «Sortir un corps, c’est rendre une dépouille à la famille pour qu’elle puisse commencer son deuil», résume-t-elle.
L’équipe sur le terrain se montre soudée. «Et la présence de nos chiens est une immense source de consolation», raconte-t-elle. Ils sont aussi une source de chaleur sous les tentes, lorsque, à la nuit tombée, les températures chutent. Que ce soit au milieu des décombres ou dans un cadre paisible, l’animal a des besoins qu’il faut combler. «Il doit être bien dans ses pattes pour travailler au milieu du chaos», explique-t-elle. Il leur est demandé un travail de précision: les chiens doivent déterminer dans un périmètre «de la taille d’une table de quatre personnes», un espace d’une dizaine de centimètres où les sauveteurs pourraient creuser. «Si l’on creuse un mètre plus loin, on passe à côté de la personne», précise-t-elle.
Un compagnon, un collègue
Les chiens intervenus en Turquie sont entraînés à repérer l’odeur des vivants, pas des cadavres. La formation au sein de l’association dure trois à quatre ans. Chaque samedi, ils se prêtent à un jeu de cache-cache, d’exercices de repérage. Ils doivent s’amuser pour remplir leur mission. Un décalage que les conducteurs doivent gérer, alors que la situation qui les entoure est dramatique. «Il faut le féliciter, le récompenser, même lorsqu’il ne trouve rien. Il faut être discret à côté d’habitants désespérés. Nous devons aussi gérer notre frustration et notre stress, pour que le chien ne soit pas perturbé», explique Arielle Christe.
Chaque samedi depuis quarante ans, Arielle Christe «fait travailler» son chien et s’émerveille devant les prouesses de leur truffe. «Le maître doit connaître les points forts et les faiblesses de son chien. Ce dernier n’est pas seulement un compagnon mais un collègue», souligne-t-elle. En Suisse aussi, les bénévoles de Redog interviennent pour retrouver des champignonneurs égarés, des personnes sous les débris lors d’éboulements ou d’explosions, en collaboration avec les polices cantonales et les pompiers. «Mais aussi sur appel de particuliers. Rappelez bien le numéro de notre ligne [0844 441 144]», demande Arielle Christe. Un hobby altruiste qu’elle entend poursuivre à la retraite.
Profil
1961 Naissance à Bienne.
1984 Admission à Redog.
1991 Réussite des premiers examens avec sa chienne Haïka.
1992 Première intervention à l’étranger, en Turquie.
2023 Séisme en Turquie et en Syrie.
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