Migrants
Pour convaincre les Suisses de rejeter la loi sur l’asile en juin, l’UDC sort un nouvel argument: la menace d’expropriation. Des requérants dans mon chalet? Pas du tout, répondent les partisans de la réforme

«Exproprier des propriétaires immobiliers privés pour loger des requérants d’asile – ça ne va pas, non?» C’est sous ce titre que, en novembre dernier, le conseiller national UDC Hans Egloff a sorti de l’oubli un des articles de la nouvelle loi sur l’asile contre laquelle son parti a lancé un référendum. Les citoyens suisses se prononceront en juin prochain. L’élu zurichois sait que l’argument peut faire mouche dans un pays où la garantie de la propriété est sacrée.
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Lors des débats parlementaires, la question a été peu débattue. Pour justifier son référendum, l’UDC elle-même s’est surtout contentée de contester les «avocats gratuits» pour les requérants. L’expropriation devient ainsi son deuxième angle d’attaque. La Confédération envisage-t-elle vraiment de chasser des propriétaires pour accueillir des requérants dans leurs logements? «Cet argument de l’UDC est complètement absurde», répond le sénateur Robert Cramer (Verts/GE).
«Rien d’extraordinaire»
Pour comprendre les intentions de la Confédération, il faut revenir aux buts de la nouvelle loi sur l’asile: soit accélérer les procédures. Pour ce faire, il s’agit de regrouper les requérants et les intervenants dans de nouveaux centres fédéraux. D’autres lieux sont prévus pour les requérants récalcitrants ou pour les déboutés qui sont dans l’attente de leur renvoi. Reste que trouver ces centres est une gageure. Si bien que la Confédération a dopé sa législation pour se donner les moyens de sa nouvelle politique.
Afin d’éviter les blocages liés à l’acquisition ou aux changements d’affectation de bâtiments, la loi accorde effectivement un peu plus de pouvoirs à la Confédération. Cette dernière centralisera la planification sans avoir à en référer aux législations sur les constructions. Les autorités communales et cantonales seront néanmoins consultées. L’expropriation est une «solution de dernier recours», affirme Pius Betschart, vice-directeur du Secrétariat d’Etat aux migrations, dont la pire crainte serait que des migrants affluent en hiver. «Il faudra les loger. C’est une question d’humanité et de sécurité», estime-t-il.
«Et cette procédure n’a rien d’extraordinaire», poursuit Robert Cramer. En Suisse, l’expropriation est régie par une loi spécifique. Elle s’applique dans l’intérêt du pays, pour un projet d’importance nationale. Par exemple pour la pose de lignes à haute tension, la construction d’infrastructures telles que routes ou rails de chemin de fer. Et le propriétaire concerné a des droits qu’il peut faire valoir. Il peut faire opposition et demander des indemnités. «C’est archi-banal, et plusieurs lois fédérales prévoient exactement la même chose», explique encore le sénateur genevois. Il s’agit notamment de la loi sur les routes nationales, sur l’environnement, sur la protection de la nature et du paysage, etc.
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Que l’UDC laisse penser qu’un propriétaire de chalet puisse être menacé fait sourire Robert Cramer. «Dans le cadre de la loi sur l’asile, la Confédération cherche à implanter des centres, pas à envahir des maisons!» Un hôtel, un hôpital, une colonie de vacances désaffectés pourraient être potentiellement concernés, cite le sénateur genevois. Et d’évoquer un cas précis: celui d’une commune qui était prête à acheter un bâtiment pour éviter que ce soit la Confédération qui y loge des requérants. «La commune était prête à acheter le droit de ne pas avoir de requérants sur son territoire. Que la Confédération puisse procéder à une expropriation est un outil supplémentaire pour éviter ce cas de figure», résume-t-il. Et ça ne veut pas encore dire que la Confédération l’utilise. Le simple fait que cette possibilité existe devrait suffire à dissuader ceux qui voudraient bloquer un projet. Pour Robert Cramer, si l’UDC continue à marteler ce message, «ce sera l’argument le plus bidon de la campagne».
Un élément mineur
D’ailleurs, le conseiller national Olivier Feller (PLR/VD), directeur de la Chambre vaudoise immobilière, n’est pas inquiet. «La notion d’expropriation est certes peu sympathique mais elle obéit à des règles strictes et il existe une jurisprudence importante», explique-t-il, tout en rappelant que la garantie de la propriété est également un élément fort de la Constitution suisse. Pour preuve: le service juridique de la Fédération romande immobilière n’a quasiment jamais de questions à traiter en lien avec l’expropriation. «En général, les collectivités publiques cherchent à négocier avant d’exproprier. En plus, elles sont également propriétaires de biens-fonds, qu’elles vont en général utiliser en priorité dans toute la mesure du possible avant d’envisager des expropriations», poursuit Olivier Feller, qui imagine mal la Confédération utiliser cette arme. «Il s’agit d’un élément mineur de la loi sur l’asile», affirme-t-il.
Pas pour l’UDC. Son président, Toni Brunner, le martèle: «Si on parle d’expropriation dans une loi, c’est qu’on veut l’utiliser. Sinon, on ne l’inscrit pas dans une loi.» C’est également ce que craint l’avocat et conseiller national Jean-Luc Addor (UDC/VS). «Les collectivités publiques cherchent des lieux d’hébergement pour les requérants et personne ne veut de ces centres. Donc oui, nous avons des raisons de craindre que la Confédération procède à des expropriations», dit-il, estimant que la loi «va trop loin». Pour lui, «la Confédération a d’autres ressources avant de violer la garantie de la propriété». Il songe notamment à l’utilisation de baraquements militaires, jugés aptes à héberger des soldats suisses…