«Aucun médecin ne détient la vérité seul»
Hôpital du Valais L’expert mandaté par l’Etat reconnaît des erreurs lors d’opérations délicates
Jean-Jacques Houben recommandede collaborer avec le CHUV
La pression médiatique estivale, ainsi que le dépôt d’une plainte pénale par la famille d’une patiente décédée, avaient poussé l’Etat du Valais à mandater une expertise sur la médecine hautement spécialisée à l’hôpital cantonal. L’expert mandaté par le gouvernement, Jean-Jacques Houben, donne aujourd’hui assez largement raison à ceux qui critiquaient le service de chirurgie. Il confirme que Vincent Bettschart, chef du département de chirurgie, est trop seul pour prendre des décisions, et que des erreurs ont été commises.
Jean-Jacques Houben est chirurgien viscéral et oncologue, coordonnateur de la gastro-entérologie médico-chirurgicale oncologique du Centre hospitalier interrégional Edith Cavell à Bruxelles. Il a été chargé d’analyser les interventions de médecine hautement spécialisée sur le foie, l’œsophage, le pancréas et le colon/rectum en 2011 et 2012, ainsi que trois cas de décès survenus en 2013. Jean-Jacques Houben livre ses premières conclusions après avoir accompli sa mission concernant le foie et l’œsophage.
Le Temps: Vous recommandez un partenariat fort entre l’Hôpital du Valais et le CHUV, notamment à travers des colloques conjoints sur tous les cas de médecine hautement spécialisée. Pour quelles raisons?
Jean-Jacques Houben: Dans les cas de chirurgie de l’œsophage, qui sont très rares et se raréfieront encore à l’avenir parce que d’autres traitements sont privilégiés, il ne sert à rien de conserver des équipes très compétentes au CHUV et à Sion. C’est pourquoi je recommande de pratiquer ces opérations sur le site du CHUV avec des équipes du CHUV et de Sion. Quant aux cas qui sont beaucoup plus fréquents, comme les pathologies du foie, il convient d’en augmenter la masse critique pour renforcer la pratique et la multidisciplinarité des prises en charge. Il n’est pas normal que l’on ne puisse pas pratiquer d’écho-endoscopie à Sion lorsqu’un patient a une tumeur. Soit les médecins, soit les patients doivent se déplacer entre les hôpitaux du CHUV et de Sion.
– Vous estimez que, dans les cas dénoncés dans la presse, les décisions prises sont discutables. Ce partenariat, qui sera effectif dès janvier 2014, résoudra-t-il ce problème?
– J’en suis persuadé. Il y a plus d’idées dans deux têtes que dans une seule. Personne n’a la vérité à lui tout seul.
– Les détracteurs de l’hôpital demandaient une collaboration systématique avec un hôpital universitaire, ce dont Vincent Bettschart ne voulait pas, estimant qu’il s’agissait d’une forme de mise sous tutelle. Est-ce ainsi qu’il faut comprendre votre recommandation?
– Pensez-vous que les médecins de l’Hôpital du Valais vont se taire lorsque les cas vaudois leur seront soumis par téléconférence? Il s’agit de créer un registre commun de tous les cas vaudois et valaisans afin que le colloque formé des spécialistes du CHUV et de ceux du Valais se prononce sur chacun d’entre eux.
– C’est la solitude du chirurgien Vincent Bettschart qui a conduit, selon vous, à ces prises de risque et à ces erreurs?
– L’absence d’un partenaire ayant des compétences équivalentes et qui peut servir de miroir chirurgical en est une cause. Avec un collègue, les opérations sont aussi plus rapides que si vous les pratiquez avec quelqu’un qui est en formation. C’est un véritable quatre mains. Mais le problème n’est pas seulement là. Il faut aussi développer un service avec quatre ou cinq gastro-entérologues spécialisés dans différents domaines. Sinon vous prenez des décisions en plein brouillard.
– Si les trois cas dénoncés dans la presse avaient été pris en charge par un hôpital universitaire, ces décès auraient-ils pu être évités?
– Il n’y a pas de réponse à cette question. C’est comme de me demander si les enfants belges seraient morts dans le tunnel de Sierre si leur car était parti une minute plus tard.
– Les médecins qui critiquaient le travail de Vincent Bettschart parlaient aussi de prise de risque et estimaient que cela était en partie lié à sa personnalité. Qu’en pensez-vous? – Quand, dans une classe, un enfant n’a pas d’amis, cela peut être provoqué par deux facteurs. Par sa personnalité plutôt encline à la solitude ou par le rejet de la part du reste de la classe. Dans ce contexte, la maîtresse est aussi responsable d’instaurer un climat qui lui permette d’avoir des amis.
– Ces critiques à l’égard de l’hôpital se font entendre depuis plus de deux ans. Comment expliquez-vous qu’il faille un expert étranger pour qu’elles soient entendues? – C’est peut-être dû au fait que je suis méchant et sans concession et que je ne fais de cadeau à personne. Ma carrière ne dépend pas de ce que je vais dire. Le cadre fixé par la conseillère d’Etat Esther Waeber-Kalbermatten me permettait toute liberté dans la méthode, dans l’entourage que j’allais choisir et dans mes conclusions. L’expertise interne conduite par l’hôpital à la fin de l’été n’avait ni les mêmes objectifs, ni les mêmes moyens, ni la même liberté à cause de l’urgence dans laquelle il fallait apporter des réponses.
– La situation de l’Hôpital du Valais est-elle exceptionnelle? – Non. La fusion des hôpitaux est un enfer dans toute l’Europe parce que vous réunissez soudainement des spécialistes qui jusque-là étaient en concurrence. L’autre difficulté est qu’il y a pléthore de spécialistes en Suisse romande pour un bassin de population restreint. Si vous aviez trois chirurgiens viscéraux, ils seraient débordés et bien contents de collaborer. Mais il y en a trente qui sont capables de faire ce genre d’opérations. La troisième difficulté est liée au fait que la planification hospitalière est en partie du ressort des cantons. Alors qu’en Belgique elle est conduite par l’Etat. C’est forcément difficile de faire des réformes à une échelle aussi petite.