Ces évolutions déplaisent à Augusta Gillabert-Randin. Encore sous l‘influence de la pénurie alimentaire aux alentours de 1917, elle lutte contre l’achat de denrées alimentaires par des intermédiaires et milite pour la régulation des prix. Ses armes sont sa plume alerte dans la presse agricole ainsi l’utilisation de de structures coopératives. En 1918, elle fonde la première association de paysannes en Suisse, l’Association des productrices de Moudon, appelée «soviet des productrices» par la presse locale. Elle espère pouvoir établir des relations commerciales directes avec les associations de femmes au foyer et les coopératives de consommatrices.
C’est un échec. Cette femme rurale, également très active au sein de l’église et du mouvement d’abstinence, ne verra pas l’introduction du droit de vote des femmes. Elle meurt au printemps 1940, pauvre et largement ignorée par l’historiographie et les études sur le genre, bien qu’elle ait été impliquée de manière significative dans la fondation de l’Union suisse des paysannes et femmes rurales dont elle deviendra présidente d’honneur ultérieurement.
Peter Moser, spécialiste de l’histoire agraire, a une double explication pour cela: au manque général d’intérêt de l’historiographie pour les femmes s’ajoute un désintérêt des études sur le genre pour les paysannes.
Qu’Augusta Gillabert-Randin ait trouvé sa vocation est doublement dû à son époux. Originaire d’Orbe, cette fille de commerçant n’est devenue paysanne que par son mariage. Et elle ne devient politiquement et journalistiquement active qu’après la mort de son mari, quand elle doit gérer la ferme seule avec ses enfants. L’absence du mari et la prise en mains de ses propres ressources économiques qui en découle ont l’effet d’une émancipation.
La Première Guerre mondiale a démontré que les femmes sont plus qu’un simple appendice de l’homme. La revendication à l’égalité de traitement entre tous les citoyens ne peut plus être combattue avec des arguments factuels. Mais il fallut encore quelques décennies pour que cette objectivité factuelle ne s’impose en Suisse.
L’ensemble des portraits des pionnières de la Suisse moderne feront l’objet d’une publication dans un livre qui paraîtra à l’automne 2014, édité par Avenir Suisse et Le Temps.A précommander ici