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«Aujourd'hui, la moindre erreur se paie cash devant les électeurs»

Bourdes politiques et de gestion, mais surtout pannes de communication: Micheline Spoerri et Laurent Moutinot ont mordu la poussière lors de l'élection au Grand Conseil genevois. L'analyse du politologue Pascal Sciarini.

Lors de l'élection du Grand Conseil genevois, la libérale Micheline Spoerri et le socialiste Laurent Moutinot ont été distancés de plus de 2000 voix par leurs colistiers dans la course au Conseil d'Etat, Mark Muller côté libéral et Charles Beer côté socialiste. Pascal Sciarini, directeur du département de science politique à l'Université de Genève, analyse ces gestes d'humeur de l'électorat.

Le Temps: Quelles erreurs Micheline Spoerri et Laurent Moutinot ont-ils commises?

Pascal Sciarini: Les deux sortants ont donné une impression de flou, voire de carences dans la gestion de leur département. Il y a en particulier eu les insuffisances de Micheline Spoerri lors des événements du G8 ou sur le dossier de réforme de la police. Laurent Moutinot paie quant à lui ses effets d'annonce non suivis de résultats tangibles en matière de logement, ainsi que ses relations difficiles avec les communes. Or aujourd'hui, les erreurs se paient cash devant les électeurs, en raison de l'effet amplificateur des médias. Pour prendre un exemple récent, les manchettes concernant Christian Ferrazzino pouvaient laisser croire qu'il avait tué père et mère! Micheline Spoerri et Laurent Moutinot n'ont pas non plus été épargnés durant cette législature. Or, au niveau cantonal, la presse est le principal vecteur de la formation des opinions des électeurs.

  • Ce ne serait donc qu'une question d'image?

  • Non, il y a effectivement eu des maladresses. Mais le charisme et la communication politique ont de plus en plus d'importance dans les scrutins, en Suisse comme à l'étranger. Micheline Spoerri et Laurent Moutinot font peu d'efforts et ne sont donc guère convaincants en la matière. Le contre-exemple, ce serait Robert Cramer, qui a l'avantage de diriger un département moins sensible et qui peut donc jouer à fond la carte de l'image. Sa personnalité chaleureuse et son côté «bon vivant» le rendent extrêmement populaire. Il a même réussi à s'attirer de la sympathie en avouant ses problèmes d'alcool. Dans ce cas, l'image rejaillit sur le bilan, même s'il reste difficile de juger de ses réelles qualités de conseiller d'Etat et d'imaginer comment il réagirait en cas de crise. Dans un autre registre, et même si cela peut paraître trivial, le physique de Charles Beer joue sans doute en sa faveur. Martine Brunschwig Graf de son côté a su donner l'impression, contrairement à Micheline Spoerri, de maîtriser ses dossiers et de savoir où elle voulait aller. A-t-elle pourtant été une bonne conseillère d'Etat? Le citoyen n'est pas nécessairement armé pour en juger.

  • Pourquoi Micheline Spoerri et Laurent Moutinot sont-ils mal aimés dans leur parti?

  • C'est surtout vrai pour Micheline Spoerri, mais tous deux ont donné l'impression de dévier de la ligne de leur parti. Les libéraux reprochent à Micheline Spoerri d'avoir fait trop de concessions aux syndicats de la police et surtout d'avoir laissé s'installer le chaos lors du G8, les socialistes à Laurent Moutinot de ne pas avoir été assez social dans sa politique du logement. Ces critiques sont partiellement fondées et partiellement infondées: en vertu du principe de collégialité, la politique d'un sortant s'inscrit dans celle du gouvernement dans son ensemble, dont on ne fait jamais le bilan. Mais il est vrai que le problème du Conseil d'Etat sortant est précisément d'avoir surtout privilégié la non-ingérence mutuelle dans la gestion des départements, au détriment de l'action commune.

  • Risquent-ils de ne pas être élus?

  • Je ne suis pas devin, mais je pense qu'ils vont mieux s'en sortir qu'on ne le pense généralement. Même Micheline Spoerri, qui paraît la plus menacée, a des atouts dans sa manche. Tout d'abord, les libéraux ne lui ont probablement adressé qu'un avertissement lors de l'élection du Grand Conseil. Je pense qu'ils vont maintenant voter utile pour ne pas perdre un siège. Le fait que Micheline Spoerri soit la seule femme en lice devrait aussi jouer en sa faveur. Enfin, elle bénéficie du fait qu'elle est sortante.

  • Par rapport aux sortants, qui ont l'avantage de la notoriété, quel doit être la stratégie des nouveaux?

  • Ils doivent être plus novateurs, surtout dans ce moment de crise exprimé par le vote de protestation lors de l'élection au Grand Conseil. C'est le cas de David Hiler et de François Longchamp. En revanche, Mark Muller occupe moins ce créneau. Sa belle élection en tête de la liste libérale est peut-être trompeuse: il pourrait manquer du soutien plus large qui est nécessaire dans ce type d'élection au système majoritaire.

  • Quel est le profil idéal d'un candidat au Conseil d'Etat?

  • Le profil est devenu très exigeant. Dans tous les cas, et compte tenu de la forte personnalisation qui caractérise une telle élection, le candidat doit être une personnalité connue et si possible populaire. S'il est sortant, le candidat doit pouvoir mettre en avant son bilan, afficher ses réalisations, prouver qu'il sait mener ses troupes. Le nouveau cherchera plutôt à se profiler comme visionnaire ou comme réformateur, tout en démontrant qu'il est capable de se plier aux règles de la collégialité et de la concordance. Par ailleurs, tout candidat doit trouver un équilibre subtil entre un clair profil partisan et la capacité à mobiliser le soutien des électeurs et électrices d'autres partis, c'est-à-dire à «ratisser large».