Yves Rossier: Cette imitative est un contresens. Elle prétend se soucier des personnes épuisées par une vie professionnelle rude – ce qui est légitime – mais propose en fait la rente AVS complète à 62 ans pour 90% des travailleurs. L'impact financier est énorme pour l'assurance, mais l'impact social très faible pour la plupart des bénéficiaires. En outre, comme les cotisations payées de 62 à 65 ans n'auront aucun effet sur votre rente AVS, l'initiative contredit le principe même de l'assurance. De plus, elle profiterait uniquement aux 50-65 ans, la classe de la population dont la situation matérielle est de loin la plus aisée. Enfin, il sera interdit de travailler à ceux qui en bénéficient, ce qui est non seulement incongru, mais aussi impossible à contrôler, tant en Suisse qu'à l'étranger où vivent déjà un tiers de nos rentiers AVS.
– Combien cet effort coûterait-il à l'assurance?
– Il se monterait à 1,5 milliard de francs par an, sur la base des retraites anticipées actuelles. Mais sacrifier une telle somme à la subvention de la retraite anticipée serait aussi saugrenu que si les CFF dépensaient des millions, en plein réchauffement climatique, pour remplacer leurs locomotives par des machines diesel.
– Il vous a été reproché de trop vous être engagé lors de la campagne sur la 5e révision de l'AI en juin 2007.
– Les reproches concernaient l'utilisation de mon image dans des encarts publicitaires. J'en ai pris note et tiré les conséquences qui s'imposaient.
– La 11e révision de l'AVS est mal partie au parlement. Le National a relevé en juin l'âge de la retraite des femmes de 64 à 65 ans, mais les prestations de préretraite sont passées à la trappe. Quels seront les contours de la 12e révision?
– En Suisse, 65 ans n'est déjà plus l'âge de la retraite. L'étude du professeur Philippe Wanner (de l'Université de Genève, ndlr) montre qu'aujourd'hui, un tiers des gens qui arrêtent de travailler avant 65 ans ne touchent pas leur AVS. Et un tiers des 65-70 ans travaillent tout en touchant l'AVS. Cette flexibilisation, dans les faits, existe. L'inspiration de la 12e révision réside non pas dans une prestation unique pour tout le monde au même âge, mais dans une différentiation selon les âges, les situations de vie, de carrière, ou de sortie du monde du travail. Cela implique un travail d'horloger, à la différence de l'initiative des syndicats: vous ne jouez pas une étude de Chopin avec des gants de boxe.
– Sur quelles pistes de flexibilisation travaillez-vous?
– Nous avons demandé au professeur Giuliano Bonoli, de l'Idheap, de comparer les réformes fondamentales de la prévoyance vieillesse dans cinq pays européens: la Suède, l'Allemagne, la France, l'Italie et les Pays-Bas. Nous présenterons ces résultats (lundi prochain, ndlr), avec des pistes pour la Suisse.
– Peut-on calculer la retraite sans un âge légal?
– L'âge de l'AVS n'est déjà plus l'âge de la retraite pour les deux tiers des gens. On peut poser une fourchette. Mais on ne doit plus contraindre les personnes de plus de 65 ans à prendre leur retraite.
– Quelle fourchette?
– Ce peut être entre 60 et 70 ans. Ou 62 et 68 ans. L'essentiel est de tenir compte des différences objectives entre les situations personnelles et les générations.
– On nous prédisait une catastrophe pour l'AVS. Or, les chiffres sont bons. La situation n'a-t-elle pas été noircie?
– Dans les années 90, le fonds perdait plusieurs milliards de francs par an. Il a fallu relever en catastrophe la TVA (en 1999, le taux ordinaire de 6,5% a été relevé d'un point) . Les projections faites à l'époque étaient marquées par cette situation, mais il n'y a jamais eu de volonté délibérée de jouer les Cassandre; d'ailleurs le Département fédéral de l'intérieur était dirigé à l'époque par la conseillère fédérale Dreifuss. Dans l'AVS, une seule chose est sûre, soit l'augmentation régulière des dépenses, en raison de l'espérance de vie. Les recettes, en revanche, dépendent de la conjoncture et leurs fluctuations sont par nature imprévisibles. Nous savons donc que l'AVS aura besoin de recettes supplémentaires entre 2022 et 2028, selon l'évolution économique d'ici là.
– Marco Netzer, le président du fonds de compensation AVS, a annoncé en août que les placements affichaient un recul de 5%, soit une perte de 1,3 milliard de francs pour le fonds. Le résultat final sera vraisemblablement négatif.
– Les placements de l'AVS ont rapporté 1,7 milliard en 2005, 1,3 milliard en 2006 et rien du tout en 2007. Cette année, on est déjà à moins 1,3 milliard. Mais c'est pour cela que nous avons le fonds AVS! C'est une réserve qui nous permet d'absorber les variations de conjonctures et des marchés financiers, et le produit des placements n'est qu'une petite part de ses ressources. Il me semble tout aussi déplacé de réclamer de dépenser les réserves parce que la situation est bonne que de céder à la panique quand le ciel s'assombrit.
– En février ou en mai 2009, le peuple se prononcera sur un relèvement temporaire de 0,4 point du taux normal de la TVA pour financer l'AI.
– Ce compromis est excellent. Il octroie à l'assurance un financement pendant sept ans, qui nous permettra, d'ici là, de remettre l'AI sur les rails. En même temps, le projet vise à créer un fonds de compensation autonome pour cette assurance, qui ponctionne 1,5 milliard de francs par an dans les liquidités de l'AVS. De plus, la Confédération prendra à sa charge les intérêts de la dette de l'AI.
– Un relèvement de la TVA, en pleine période d'inflation, n'est pas assuré d'obtenir l'aval du peuple.
– Nous verrons bien. Ce projet renforce tant l'AVS que l'AI et l'augmentation de la TVA est absolument limitée à sept ans. Personne n'aime augmenter un impôt, mais la solidarité, la vraie, ce sont des actes concrets, voire des sacrifices, pas seulement de belles paroles le 1er Août.
– Vous allez bientôt présenter les premiers résultats de la 5e révision de l'AI. Sont-ils positifs?
– Encore plus positif que nos prévisions. Globalement, les nouvelles mesures de détection et d'intervention précoce, ainsi que de réinsertion rencontrent un bon succès. L'AI a longtemps souffert du fait que les gens s'y rendaient quand ils n'avaient plus le choix. Désormais, les employeurs, et souvent les assurés eux-mêmes vont chercher un soutien précoce.
– La 5e révision visait également à combattre l'escroquerie à l'assurance, thématisée par l'UDC.
– Il ne s'agit pas d'un enjeu financier énorme, mais il en va de la crédibilité de l'Etat social. Nous mettons en place des indicateurs, afin de repérer les catégories à risque. Tant la fraude fiscale que l'escroquerie aux assurances sociales constituent un scandale, car toutes deux sapent le fondement même du contrat social.