Forum Santé
L’avocat romand des patients se réjouit du fait que la voix de ces derniers commence lentement à être écoutée à Berne, mais déplore qu’on les considère trop souvent comme des profiteurs du système de santé

La santé reste l’un des principaux sujets de préoccupation des Suisses. Tout comme l’urgence de placer le patient au centre du débat et de réformer notre système de soins. Le Temps et Heidi.News organisent la quatrième édition du Forum Santé, le jeudi 28 octobre 2021, de 16h00 à 20h30 à l'Unil. Programme et inscriptions gratuites sur: https://events.letemps.ch/sante/
Peu après avoir été élu au Conseil national en 2019, Baptiste Hurni est devenu le président de la section romande de la Fédération suisse des patients (FSP), qui travaille sur trois objectifs: développer leur relation avec les professionnels de la santé, les accompagner dans leurs démarches en cas de problème lors d’un traitement et favoriser la transparence dans le système de santé. Le jeune avocat neuchâtelois constate avec plaisir que leur voix est mieux écoutée, même s’il reste beaucoup à faire.
Le Temps: Au parlement, vous êtes l’avocat des patients, mais vous ne siégez pas dans l’importante Commission de la santé (CSSS). Un handicap?
Baptiste Hurni: Oui, évidemment, car la Commission chargée de la santé est au premier plan dans tous les dossiers qui concernent les patientes et les patients. Cela dit, la situation est néanmoins satisfaisante pour plusieurs raisons. D’abord, ma collègue du Conseil national Flavia Wasserfallen, qui préside la FSP au niveau suisse, y siège et relaie fidèlement les préoccupations des patients romands. Ensuite, j’ai la chance de faire partie du groupe socialiste, qui est très à l’écoute de leur cause.
Ecoute-t-on la voix des patients face à celle des autres lobbies de la santé sous la Coupole?
On l’écoute peu, mais les choses sont en train de changer. D’une part, il nous est possible parfois de trouver des alliés sur certains dossiers – les médecins de la FMH, parfois même les assurances maladie –, ce qui renforce notre position. D’autre part, au parlement même les plus rigides ayatollahs des pharmas ou des assurances se rendent compte que les patients, en tant que «théoriques bénéficiaires» du système, ne peuvent pas systématiquement être mis de côté. Plusieurs fois, les intérêts des patients ont malheureusement été écartés à la toute fin du processus. C’est un progrès, car voici quinze ou vingt ans, leur voix n’aurait même pas été écoutée. Une brèche s’ouvre donc. A nous de nous y engouffrer en réalisant qu’ensemble les patients ont le pouvoir de changer le système en leur faveur, comme les consommatrices et les consommateurs l’ont fait au XXe siècle.
A-t-on tendance à les culpabiliser, comme ce fut le cas lorsque le parlement a voulu rehausser la franchise de 50 francs avant les élections de 2019?
Oui, c’est une tendance lourde et absolument insoutenable. Dans la tête de certains de mes collègues à Berne, un patient est responsable des augmentations des primes de l’assurance maladie car il irait par confort aux urgences par exemple. Alors qu’on sait que les patients suisses se rendent moins chez le médecin que ceux des autres pays de l’OCDE, dont les systèmes coûtent aussi moins cher! Après la proposition d’augmenter les primes, certains veulent maintenant faire payer une taxe fixe pour les personnes se rendant aux urgences. C’est d’autant plus intolérable que la Suisse est le pays de l’OCDE où les patients paient directement la plus grande proportion des coûts. Il faut arrêter de penser qu’ils vont à l’hôpital pour un oui ou pour un non. C’est faux et infantilisant.
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La charge qui pèse sur le patient dans la santé est-elle devenue trop lourde?
Oui. Un quart de la population suisse renonce à des soins nécessaires pour des raisons de coûts. Entre les primes maladie, la quote-part et les franchises, le système est devenu sans mauvais jeu de mots complètement malade. Les gens prennent les franchises les plus élevées car ils n’ont pas les moyens de payer les primes des franchises les plus basses. De plus, 25% de la population reçoit un subside pour payer une prime à une assurance privée mais qui fournit un service public, alors que parallèlement certains présidents de clinique privée, directeurs ou administrateurs de caisses de même que certains médecins perçoivent des revenus astronomiques. Sans oublier que les caisses ont accumulé des réserves plus élevées que le maximum légal. Ce système va droit dans le mur et il faut le réformer de A à Z en partant cette fois-ci de l’intérêt des patients.
Face à une facture, le patient se sent souvent démuni car incapable de la décrypter. Que fait votre fédération pour remédier à cela?
Nous avons lancé récemment un service de contrôle des factures avec une personne extrêmement qualifiée, une spécialiste reconnue dans ce domaine. Nous pouvons donc aider les patients à y voir plus clair et contester leur facture, mais les moyens nous manquent malheureusement pour le faire de manière plus systématique. Il est regrettable que le parlement n’ait pas permis à la Confédération de soutenir les fédérations de patients et de consommateurs qui réalisent ce travail d’intérêt public.
Avec leurs nouveaux outils numérisés, les assureurs ne vérifient-ils pas les factures mieux que par le passé?
Normalement c’est effectivement aux assurances de vérifier, mais elles ne le font que peu ou mal, ou à tout le moins pas sur les petites factures. Or, dans le domaine des assurances complémentaires, la Finma a pu démontrer que les surfacturations étaient systématiques. Plutôt que de culpabiliser le patient en lui disant qu’il consomme trop de prestations, peut-être devrions-nous commencer par contrôler de manière systématique la facturation des prestations. L’Allemagne l’a fait, avec à la clé des baisses sensibles de coûts.
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Les hôpitaux universitaires ont ouvert des lieux d’écoute pour permettre aux patients d’exprimer leurs doléances. La relation entre les prestataires de soins et les patients est-elle désormais satisfaisante?
On peut encore améliorer le système, mais ces initiatives doivent être saluées, de même que la posture du prestataire de soins, qui a heureusement évolué depuis vingt-cinq ans. On est passé d’une relation très verticale dans laquelle le médecin ordonnait tout à une relation plus horizontale, plus tournée vers l’écoute. Cependant, le patient doit encore devenir véritablement acteur de sa santé et on doit vraiment lui permettre de le faire en l’impliquant dans les choix et en l’aidant à renforcer ses compétences. La situation s’améliore, mais on pourrait encore aller plus loin par le truchement du dossier électronique du patient (DEP).
Justement, ce DEP devrait permettre d’éviter des interventions inutiles. Votre fédération n’est-elle pas trop frileuse à cet égard?
Notre fédération a toujours soutenu le dossier électronique du patient, mais seulement s’il est mis en place dans son intérêt, soit en lui permettant d’utiliser son dossier de manière active. Cela signifie aussi que des mesures de prévention devraient pouvoir lui être proposées. Mais en aucun cas un DEP qui deviendrait le terrain de jeu des assurances maladie n’a de chance de convaincre et d’apporter des économies. Ce n’est aujourd’hui heureusement pas la voie choisie en Suisse, mais nous devons continuer à veiller au grain, tout en s’impliquant pour le développement du DEP. Notre fédération le fait d’ailleurs à travers un projet de prévention financé par l’OFSP.