BCGE, après la débâcle, la gabegie
revue de presse
«Le procès du siècle» qui s’arrête… La justice genevoise y joue sa crédibilité. La presse locale est écœurée
Mercredi, dans le procès de la débâcle de la BCGE, le plénum de la Cour de justice de Genève a décidé de récuser le président de la Cour correctionnelle, Jacques Delieutraz, accusé par la défense d’avoir orienté un premier tirage au sort de jurés potentiel. Le procès est interrompu et un certain flou règne sur la suite de la procédure.
«Le procès BCGE touche le fond»: c’est le titre de l’éditorial de la Tribune de Genève, dont le rédacteur en chef, Pierre Ruetschi, s’indigne: «Quatre semaines pour rien et au total des centaines de milliers de francs, voire davantage, qui s’ajouteront à la facture de la débâcle. C’est la gabegie totale.» Et de fustiger le pouvoir judiciaire: «A procès et enjeux exceptionnels, vigilance et professionnalisme exceptionnels. Et c’est là que juge et Cour de justice se sont fourvoyés par négligence et/ou naïveté.»
Dans la Tribune toujours, Pascal Décaillet, lui, tire à vue sur le président du Conseil d’Etat, en prétendant que l’exécutif cantonal «foule allègrement de ses pieds les plus crottés» le principe de séparation des pouvoirs: «Dans un communiqué publié [mercredi] à 16h, où il déplore l’interruption du procès BCGE, le gouvernement cantonal «entend que le pouvoir judiciaire agisse avec détermination afin que le procès des anciens dirigeants et des réviseurs se tienne». «Le Conseil d’Etat entend…»! Un Exécutif, Monsieur Longchamp, n’a strictement rien à «entendre» du pouvoir judiciaire. Il n’a aucune instruction à lui donner.» Et de soupçonner le président: «Le pouvoir, tel un élixir, monterait-il à la tête? Inciterait-il à tout voir à l’envers?» Ce dernier s’est en tous les cas montré inquiet sur le temps qui passe et les menaces de prescription des faits dans Forum de La Première, sur la RSR: «Pour l’image de Genève, ce sera problématique.»
«Patatras!» s’exclame pour sa part Philippe Bach dans son éditorial du Courrier, pour qui «le droit n’est pas dit. Cela est déplorable vu la gravité des faits. La débâcle de la Banque cantonale de Genève a coûté 2,3 milliards de francs au contribuable. La moindre des choses serait que les responsabilités de cette triste affaire soient établies. On peut désormais en douter. Il ne sera pas simple de sortir de sa manche un juge capable de reprendre au vol ce gigantesque dossier. Politiquement, un tel enlisement serait désastreux et contribuerait au discrédit des institutions.»
Pour le journal de gauche, cela «pose la question des responsabilités du procureur général. Daniel Zappelli préfère se pavaner dans la presse people, dit-il en exhibant ses blessures de guerre et en tenant des propos populistes plutôt que de donner des orientations claires à ses troupes. Mais, plus largement, c’est l’ensemble de l’Etat qui ressort discrédité. […] Ces retards ont des conséquences. Certains délits potentiels – par exemple la gestion déloyale – ne peuvent d’ores et déjà plus être invoqués car frappés de prescription. […] Ce n’est pas un simple accident de procédure […]: l’Etat risque bien de se retrouver avec une créance pourrie […] sur les bras.»
Le Matin consacre également son éditorial à ce que Blaise Willa semble considérer comme une Genferei de plus: «Un nouveau record, triste et honteux pour Genève, est hélas tombé hier: celui du ridicule. La maladresse coupable d’un juge, déjà chancelant, a fait capoter par son inévitable récusation le procès du siècle!» Pauvres Genevois, «fatigués des sarcasmes qui s’abattent sur leur justice». Car «ce coup d’arrêt signifiera de longs mois d’attente avant l’heure de la réparation. Mais, pour eux, le travail le plus pénible a déjà commencé: celui qui consiste à retisser un lien de confiance avec un système judiciaire qui se raille du citoyen.»
Le blog ouVertures. info, «une autre lecture de l’info» est encore plus sévère: «La justice en général est assez facilement ridicule, notamment au travers de son irrépressible besoin d’évoluer en caste et de se reproduire entre elle jusqu’à la consanguinité dangereuse. Parmi les justices, celle du canton de Genève est ridicule depuis des années, notamment au travers de son manque de juristes sérieux et solides et pour ses compromis «historiques». Mais là, elle vient d’atteindre le sommet du ridicule […]. Elle traîne pour rien pendant des semaines une bande de drilles ni joyeux ni drôles pour finir par leur imploser au nez en vol. Les vrais coupables de la débâcle de la BCGE n’ont rien à craindre devant pareil spectacle: ils ne seront jamais sanctionnés, ce qu’on savait depuis le départ.»