Il fait chaud, à Berne, sous la pluie. Il fait chaud ce mardi, fin de journée, devant la salle de commission 286 du Palais fédéral, lorsque le chef du groupe PS Roger Nordmann annonce le résultat des auditions. Les élus ont délibéré pendant 1h10, le Vaudois vient s’exprimer devant une meute de journalistes ronchons, et en nage: à cet étage, il règne une chaleur caniculaire.

Le chef de groupe dit que la Tessinoise Laura Sadis aurait représenté une belle «synthèse», ayant même «la capacité d’être femme». Et puis, il lâche que rien n’a été décidé. Il y aura ultime conciliabule mercredi à 7h.

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La machine à scénarios magiques tremble

Puisque le PDC est resté aussi ouvert, la machine à scénarios magiques s’emballe. Au Palais puis plus tard, lors de la traditionnelle soirée à l’Hôtel Bellevue, on croise des parlementaires socialistes et démocrates-chrétiens qui l’assurent: rien n’est joué, tout peut arriver.

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Au Bellevue, dans le hall central à 23h30, il fait très chaud. Les élus et les journalistes se rafraîchissent à la bière ou avec un genre de spritz blanc. Le dispositif forme une croix: au sud, un salon plutôt tranquille. On voit Isabelle Moret discutant avec des collègues vaudois. Plus tard, elle trinquera avec quelques parlementaires, non loin d’une tablée de Tessinois.

Un peu plus en hauteur

A l’autre extrémité du décor, vers l’entrée au tapis rouge, Ignazio Cassis répond aux questions d’Alexis Favre. Infrarouge a commencé. Pour le candidat au Conseil fédéral surplombé par la grande perche journalistique, on a installé un petit strapontin.

Au milieu de la croix, le plateau, debout aussi, animé par Esther Mamarbachi. Les chefs de parti ou de groupe se succèdent – c’est un peu la vieille ronde des éléphants, mais dans l’arène. Les candidats, eux, ont droit au côté décontracté de l’entrée.

A un autre bout de la croix, à l’ouest, dans une pièce cachée par des paravents, les tables de maquillage de la fabrique à images. A l’est, le bar. La machine à saucisses bouillonne.

On n’entend rien de la télé

Cette fois, même si l’on est proche des débatteurs de 10 Vor 10 ou Infrarouge, on n’entend rien. La SRF et la RTS sonorisent leurs plateaux à l’oreillette. Cela produit une drôle d’impression pour le visiteur: la télé est là, elle fait spectacle, mais elle est ensevelie sous le brouhaha ambiant. Elle dit tout, veut faire tout avouer, et pourtant, pas un son audible ne sort de ces lèvres-là. Politiques et journalistes causent dans leurs bulles: le pays entier est suspendu à leurs paroles, mais sur place, en réalité, on ne capte rien.

On croise le cinéaste Lionel Baier. Petits yeux avides, élégant comme d’habitude, il se cache presque, aux antipodes du plateau. La RTS lui a demandé de conclure Infrarouge. Il prend des notes pattes de mouche. A ce moment-là, il n’a pas la moindre idée de ce qu’il dira: «La Suisse est le pays où il ne se passe rien. On se fabrique donc des récits.»

Les frissons sont-ils fondés?

Ce vacarme mondain qui couvre Infrarouge, qui engloutira la conclusion de l’homme de cinéma, a-t-il un sens? Ceux qui pérorent devant les micros cachent-ils les vraies discussions, les ententes discrètes qui pourraient faire accéder au sommet une Vaudoise ou un Genevois, contre celui que tous les Saint-Gothard de la nation propulsent à Berne depuis le 14 juin, jour de l’annonce de la démission de Didier Burkhalter? Le PLR lui-même tweete en répétant, encore, ce parallèle historique aussi malsain que ridicule.

Peut-être. Le récit dont parle Lionel Baier, les comploteurs du Bellevue semblent y croire. Vraiment. Il y a de l’allégorie guerrière dans leurs mots – même au PS –, de grandes envolées tactiques, d’imposants secrets que la nuit sublimera. On se fait des frissons dans la chaleur du grand hôtel bernois aux tapis lourds et usés. Mais on le sait bien, demain est un autre jour.