Ce week-end, le président de la Confédération, Ignazio Cassis, s’est entretenu avec son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky, mais aussi avec des dirigeants des pays voisins. De sorte que ce lundi, il a nettement durci le ton. «L’agression de la Russie est une attaque contre la souveraineté, la liberté, la démocratie, la population civile et les institutions d’un pays indépendant», a-t-il martelé lors de la conférence de presse à laquelle ont aussi participé trois de ses collègues: Viola Amherd, Karin Keller-Sutter et Ueli Maurer. «Nous reprenons les sanctions de l’UE à l’identique, sans la moindre exception», a même souligné ce dernier, un ministre des Finances pas vraiment connu pour son europhilie!
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Avoirs russes gelés
La fortune des personnes proches du Kremlin et figurant sur la liste de l’UE est donc gelée avec effet immédiat. Les sanctions financières à l’encontre de Vladimir Poutine, de son ministre des Affaires étrangères, Sergeï Lavrov, et de son premier ministre, Mikhaïl Mishustin, sont intégralement reprises. La Suisse a aussi fini par fermer son espace aérien à tous les avions russes dès ce lundi à 15h. La mesure concerne les aéronefs «en mains russes», «loués par une compagnie russe», ou même «contrôlés» par les Russes: elle touche donc aussi les jets privés.
Cinq interdictions d’entrée ont encore été prononcées à l’encontre de personnalités aux ordres du régime, dont l’identité n’a pas été divulguée. Enfin, le Conseil fédéral a décidé de suspendre partiellement l’accord visant à faciliter la délivrance de visas, conclu avec la Russie en 2009. «Les détenteurs d’un passeport diplomatique pourront cependant continuer d’entrer en Suisse sans visa», a précisé le gouvernement, qui souhaite «rester fidèle à sa tradition des bons offices et à sa volonté de résoudre les conflits par la voie diplomatique».
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En parallèle, la Suisse a annoncé qu’elle livrerait 25 tonnes de biens d’aide humanitaire d’une valeur de 8 millions de francs à l’Ukraine par l’intermédiaire de la Pologne. Il s’agit là notamment de défibrillateurs, de médicaments et de machines à oxygène issus des stocks de la pharmacie de l’armée. Le matériel sera acheminé à Varsovie «ces prochains jours». Il est destiné à la population «se trouvant en Ukraine et dans les pays voisins».
Difficile de dire jusqu’ici dans quelle mesure la Suisse souffrira elle aussi de ces sanctions. A ce propos, Ueli Maurer s’est montré plutôt rassurant: «La Russie ne représente que 1% des investissements directs en Suisse et la Suisse 2% en Russie. La stabilité de notre place financière n’est pas remise en question et son intégrité est protégée.»
Ce lundi, Ignazio Cassis n’a pas attendu que les journalistes lui posent la question qui était sur toutes les lèvres. Pourquoi une volte-face si tardive du Conseil fédéral? «Nous avons voulu prendre le temps d’examiner toutes les conséquences d’une reprise totale des sanctions de l’UE, sans tomber dans la précipitation ni dans la panique», a expliqué le président de la Confédération. «Il n’était pas possible de prendre une décision éclairée dès le premier jour, a-t-il ajouté, en précisant que les mesures prises à l’encontre de la Russie ne remettent pas en question le droit de la neutralité. Il est vrai que la Suisse n’étant pas membre de l’UE, son Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) ne reçoit le détail des paquets de sanctions qu’avec un temps de retard.
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«Mieux vaut tard que jamais»
Pas sûr cependant que l’alignement du Conseil fédéral sur l’UE calme les esprits européens. Très bon connaisseur du dossier européen, Cenni Najy, ex-vice directeur du laboratoire d’idées Foraus aujourd’hui secrétaire général des Vert’libéraux genevois, exprime ce que plusieurs élus sous la Coupole hésitent à déclarer ouvertement. «Le Conseil fédéral a clairement cédé à des pressions extérieures. En reprenant la politique de 2014 comme un vieux disque rayé lors de l’annexion de la Crimée par la Russie, il a commis une lourde erreur d’appréciation qui témoigne d’un certain amateurisme. La situation d’aujourd’hui est en effet beaucoup plus grave», déplore Cenni Nagy.
Sous la Coupole, les réactions étaient moins critiques. «L’attentisme initial du Conseil fédéral a certainement causé un dégât d’image auprès de l’UE, mais mieux vaut s’aligner sur l’UE tardivement que jamais», a noté Brigitte Crottaz (PS/VD), membre de la Commission de politique extérieure du Conseil national. Damien Cottier, le nouveau chef de groupe du PLR, était plus positif, même s’il reconnaissait un problème de communication la semaine dernière: «Mais, sur le fond, il a pris la décision juste et en fin de compte il a réagi rapidement», a-t-il estimé. L’ancien collaborateur personnel de Didier Burkhalter, qui était à ses côtés lors de la crise de 2014, précise que la prise de sanctions n’est pas incompatible avec la poursuite des bons offices. «Les deux ne s’excluent pas forcément.»
Au Conseil national, le début de la session parlementaire de printemps s’est déroulé dans un climat de solennité rarement vécu. Le retour de la guerre en Europe a marqué tous les esprits et les élus ont tenu à marquer leur solidarité avec l’Ukraine, dont l’ambassadeur en Suisse Ihor Dir avait pris place dans les tribunes. A une grande majorité malgré l’opposition de l’UDC, la chambre basse a approuvé une résolution condamnant fermement «l’agression des autorités russes» et appelant toutes les parties à «convenir d’un cessez-le-feu immédiat».
Collaboration: Philippe Boeglin