Pas question pour le Conseil fédéral de rester les bras croisés face aux provocations libyennes. Comme Tripoli refuse de coopérer, il a décidé mercredi de suspendre l’accord signé le 20 août avec la Libye. Berne n’a toujours pas de nouvelles de Max Göldi et Rachid Hamdani, «enlevés en violation du droit international», souligne le gouvernement dans un bref communiqué. «Les autorités libyennes refusent tout droit de visite», précise la déclaration. Dans ces circonstances, il fallait donc agir pour défendre l’honneur de la Suisse. Le Conseil fédéral a aussi confirmé qu’il poursuivrait jusqu’à nouvel ordre sa «politique de visas restrictive vis-à-vis des ressortissants libyens».

La situation a empiré

Après avoir bravement tenté, par la voie diplomatique habituelle, de négocier et d’arrondir les angles après l’arrestation d’Hannibal Kadhafi à Genève en juillet 2008, Berne hausse donc le ton et bande les muscles. Hans-Rudolf Merz a été critiqué pour avoir fait trop de concessions le 20 août devant les Libyens, de s’être «aplati» devant le clan Kadhafi. Mais depuis, Tripoli n’a pas respecté les clauses de l’accord qui prévoyait notamment la mise sur pied d’un tribunal arbitral pour élucider les circonstances de l’arrestation du fils du président libyen.

Le délai de soixante jours pour rétablir des relations consulaires normales a été totalement ignoré. La situation n’a fait qu’empirer puisque les deux Suisses bloqués depuis le 19 juillet 2008 à Tripoli ont été enlevés le 18 septembre dernier pour être placés en «lieu sûr» selon la terminologie libyenne, quelques jours avant la rencontre entre le président de la Confédération et Mouammar Kadhafi à New York. Ils étaient auparavant sous la protection de l’ambassade de Suisse à Tripoli. Une délégation suisse s’est encore déplacée les 18 et 19 octobre à Tripoli, avant la date butoir du 20. Mais elle est rentrée bredouille.

Conscient des risques

Le 22 octobre, Micheline Calmy-Rey et Hans-Rudolf Merz ont parlé de «kidnapping» devant les médias. Et de «situation inacceptable». Un ton bien plus ferme qu’au préalable. Ils ont affirmé à ce moment-là que le Conseil fédéral allait adopter une nouvelle stratégie. La suspension de l’accord dévoilée mercredi correspond à cette nouvelle étape. Le Conseil fédéral est conscient des risques qui peuvent en découler pour les otages. Mais Amnesty International et leurs proches, surtout la famille du Suisso-Tunisien Rachid Hamdani, prennent aujourd’hui le relais pour médiatiser leur cas et faire pression. Pour Berne, il s’agit désormais de défendre les institutions et la dignité de l’Etat. Et de montrer que la Suisse n’a pas à subir les règles et les humiliations du clan Kadhafi. «Les Libyens sont d’ailleurs de plus en plus embêtés d’avoir kidnappé les deux Suisses…» glisse un proche du dossier. «La Suisse a toujours œuvré comme un Etat de droit et elle continue à le faire en suspendant un accord que Tripoli ne respecte pas.» Pouvait-elle d’ailleurs agir autrement sans perdre la face?

Hasni Abidi salue la stratégie du Conseil fédéral. «La fermeté a toujours payé avec la Libye», commente le directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam). Pour lui. Berne a raison de hausser le ton malgré la situation délicate dans laquelle se trouvent les deux hommes d’affaires suisses. «Le Conseil fédéral fait pression, mais il ne s’agit pas d’une déclaration de guerre. En suspendant un accord non respecté au lieu de le dénoncer, il laisse une porte ouverte à Tripoli si les Libyens décident de coopérer», note-t-il.

La suspension d’un accord bilatéral est réglée par la Convention de Vienne sur le droit des traités. L’article 60 du texte prévoit qu’une «violation substantielle d’un traité bilatéral par l’une des parties autorise l’autre à invoquer la violation comme motif pour mettre fin au traité ou suspendre son application en totalité ou en partie». Reste que la Libye peut contester la décision suisse, soulignait récemment le professeur de droit constitutionnel Pascal Mahon dans nos colonnes (LT du 23.10.09). «La question repartirait alors devant une autorité tierce, qui pourrait être, selon la Convention de Vienne, un conciliateur choisi sur une liste proposée par le secrétaire général des Nations unies», soulignait l’expert.

PS, PDC et PLR saluent la décision de Berne. «Il était temps de mettre un terme à une politique trop gentille», souligne le PS dans un communiqué. Le PLR rappelle qu’il revendiquait la suspension de l’accord depuis deux mois déjà. Pour Toni Brunner, le président de l’UDC, «l’accord ne vaut même pas le prix du papier sur lequel il a été écrit». Il préconise ainsi une recette bien plus corsée: la rupture des relations diplomatiques.

Le secrétaire d’Etat Michael Ambühl a évoqué mercredi à Rabat la situation des deux otages suisses en Libye, lors d’une rencontre avec son homologue marocaine. (ATS)