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Armin Capaul, l’ambassadeur des bêtes à cornes

Ce rêveur têtu a rallié 100 000 personnes contre l’écornage des vaches. Quelle que soit l’issue du vote, il a déjà gagné son pari: la Suisse entière débat des douleurs des ruminants

Armin Capaul en compagnie de l’une de ses vaches à Perrefitte, dans le Jura. — © AFP
Armin Capaul en compagnie de l’une de ses vaches à Perrefitte, dans le Jura. — © AFP

Une petite route de campagne serpente entre deux grandes parcelles verdoyantes. Dans l’une d’elles, sept vaches à cornes. Dans l’autre, un troupeau de chèvres – également cornues. Dominé par un petit cirque rocheux et entouré de forêt, le lieu respire la tranquillité. En apparence du moins puisque, à défaut de trains, les paisibles ruminants affalés dans l’herbe regardent défiler les journalistes. C’est ici qu’habite le très médiatique Armin Capaul, dont l’initiative «Pour la dignité des animaux de rente agricoles» entend rémunérer les éleveurs qui renoncent à écorner les bêtes de leur cheptel. Sourire malicieux sur un visage buriné par le soleil, l’éleveur n’a pas de doute quant à l’issue du scrutin. «Je m’attends à 80% de oui.»

Le Grison de Perrefitte

Né dans la Surselva (GR), Armin Capaul habite les environs de Moutier depuis 23 ans mais baragouine à peine trois mots de français: «J’ai essayé de prendre des cours, j’étais avec des réfugiés. Mais c’est trop compliqué pour moi.» Il a passé sa petite enfance dans le village grison d’Ilanz, puis à Zurich, où ses parents ont déménagé pour chercher du travail, après avoir vendu la ferme familiale. Arrivé à 6 ans sur les bords de la Limmat, il a grandi dans les années 1960 contestataires et pris part aux manifestations - il en garde une passion particulière pour le rock. Plus tard, la terre le rappelle. Une fois devenu adulte, il embrasse une carrière de paysan de montagne et s’unit avec Claudia, avec laquelle il a eu trois enfants.

C’est en sa compagnie qu’il s’est établi à Perrefitte, où, après des années de recherches infructueuses, le couple a fini par trouver une ferme et un terrain à vendre. Nous sommes en 1995. L’élevage assure une partie de son revenu, qu’il complète avec «l’accueil d’enfants difficiles». Fraîchement retraité – quoique responsable du «service d’étable» le jour de notre visite –, il a désormais passé la main à l’un de ses fils, qui habite dans son ancienne demeure. Lui et sa femme ont emménagé dans ce qu’il nomme «l’EMS», une maison de bois construite en 2012 à quelques mètres de là. Vue imprenable sur le poulailler, les salades du potager et, bien sûr, ses vaches. Pour elles, il a déplacé des montagnes.

© Si
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Le long chemin jusqu’à l’initiative

Afin de «donner une voix» à ses bêtes, il a en effet investi une énergie peu commune, qu’il puise à la source: «Je leur touche les cornes, explique-t-il, ça me recharge comme un Natel.» Son aventure politique débute en 2010. Il envoie un premier courrier à l’Office fédéral de l’agriculture. Dans sa missive, il demande que les bovins non écornés bénéficient de paiements directs, 1 franc par jour et par vache. Sans succès. Il tente alors de faire passer l’idée par le parlement. Au Conseil national tout d’abord, en 2012, par l’intermédiaire de l’élu vert Louis Schelbert, qui relaie sa proposition lors des débats sur la politique agricole 2014-2017 – chou blanc. Puis, la même année, au Conseil des Etats, avec l’aide du sénateur Roberto Zanetti (PS/SO) – encore raté.

© Keystone
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Armin Capaul lance alors une pétition, placarde des affiches dans 40 gares suisses et réunit 18 000 signatures en une année. En 2013, «sous l’œil de beaucoup de touristes japonais», il défile avec ses vaches en pleine ville de Berne pour aller la remettre à la Chancellerie fédérale. Mais l’attention des visiteurs nippons ne suffit pas: une fois de plus, rien n’est entrepris par les autorités. Armin Capaul avait pourtant aussi imprimé des calendriers, lancé un concours photo ou encore organisé la «Fête de la corne», rendez-vous désormais annuel lors duquel il sensibilise la population, récolte des fonds et couronne une vache «Miss Corne». Rien n’y fait. «Je me suis demandé si je ne devais pas arrêter à ce moment-là», concède-t-il. Mais renoncer n’est pas Capaul.

«Je ne savais pas comment récolter des signatures»

L’idée d’une initiative populaire fait son chemin dans l’esprit de cet idéaliste obstiné. «On m’a dit que j’étais fou», ricane-t-il. Il crée un comité, rédige un texte, dépose son projet et part à l’assaut. Nous sommes en 2014. «Le premier jour à Bâle, je n’ai récolté que 15 signatures. Je ne savais pas comment faire, j’étais timide.» Pas découragé pour autant, il arpente inlassablement le pays. Berne, Zurich, Saint-Gall, Lucerne, il convainc la population la journée, dort dans son camping-car la nuit, imprime des tracts à tour de bras et paie même des petites mains pour l’aider. Plus de 50 000 francs y passent, entre-temps couverts par des dons. Puis, en 2016, c’est le triomphe: son initiative aboutit.

© Boris Busslinger
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Depuis, c’est le déluge. Des milliers d’articles, de France, d’Allemagne, d’Autriche… «La semaine dernière, j’en ai compté 176. C’est extraordinaire.» Et des lettres. Beaucoup, beaucoup de lettres. «Regardez, dit-il en allant relever sa boîte postale, il en arrive tous les jours. C’est touchant de recevoir tout ce soutien.» Extraordinairement populaire au sein de la population, la proposition d’Armin Capaul tombe à pic: jamais le bien-être animal n’avait autant occupé l’espace médiatique. Et le paysan se sent pousser des ailes.

«Adapter l’étable aux vaches et pas le contraire»

Ses opposants arguent que des vaches écornées peuvent stabuler librement dans l’étable et sont plus heureuses? «Connerie!» s’emporte-t-il. «Ce qu’il faut, c’est adapter l’étable aux vaches et pas le contraire. Les vaches sans cornes sont toutes seules, tout est automatique, il n’y a plus de contact. Moi je les attache, mais je leur parle. Je les trais à la main. Ce ne sont pas juste des moyens de production.»

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Outre les cornes des vaches, «qui sont innervées, l’Université de Berne l’a prouvé», c’est toute la politique agricole suisse qu’Armin Capaul remet en question. «Je veux lancer un symbole», dit celui qui ne se définit «ni de gauche ni de droite». «Les fermes disparaissent, les animaux mangent n’importe quoi, ça ne va pas. Si j’étais conseiller fédéral, je changerais tout ça. Blitzschnell! Il faut rendre leur dignité aux bêtes.» Les derniers sondages semblent pour l’instant donner raison au sexagénaire, qui pourrait bien réussir son pari fou.

Le calme devrait ensuite revenir sur la propriété d’Armin Capaul: «Après la votation, je réponds aux questions encore une semaine. Après, plus d’interview, plus rien, terminé. J’aurai fait ma part.» Servir les vaches et disparaître.