Le Conseil des Etats approuve le tir des loups, lynx et castors
Environnement
La Chambre haute soutient la proposition de pouvoir abattre certaines espèces suisses emblématiques et jusqu’alors protégées. C’est la stupeur à gauche et dans les milieux écologistes, qui annoncent d’ores et déjà un référendum

Le Conseil des Etats a décidé ce mardi que les cantons pourraient désormais prévoir le tir d’animaux protégés sans plus devoir obtenir l’assentiment préalable de Berne. Les décisions cantonales y relatives ne pourraient en outre souffrir aucun recours. La révision de la loi soutenue par la Chambre haute, qui parle désormais de «régulation» et non plus seulement de tir d’animaux isolés, permettrait aux cantons concernés de «réguler» le loup comme ils l’entendent entre septembre et mars.
Préalablement protégés, lynx et castors pourraient également être tirés au besoin, et les périodes de protection du sanglier, du bouquetin et du cormoran seraient écourtées. Les espèces non indigènes, comme les daims ou les mouflons, pourraient par ailleurs être chassées toute l’année. Un référendum est d’ores et déjà annoncé.
«Nos montagnes ne sont pas le Kenya des Zurichois»
Le débat au Conseil des Etats a vu s’affronter deux visions de la Suisse de demain: celle, résolument urbaine, socialiste et écologiste, qui salue le retour des grands prédateurs et place la biodiversité au premier plan, et celle du bloc bourgeois et des cantons alpins, qui défendent la pratique de la chasse et privilégient avant tout les intérêts des éleveurs. Tout a été résumé dans cette interaction entre deux sénateurs: «A Zurich, nous nous réjouissons que le loup revienne en Suisse et que les animaux sauvages ne se trouvent pas seulement au Kenya», dit Daniel Jositsch (PS/ZH). «Nos montagnes ne sont pas le Kenya des Zurichois et nous voulons les gérer nous-mêmes», rétorque Stefan Engler (PDC/GR), politicien – et chasseur – à l’origine de la motion derrière la révision de la loi.
La subsidiarité cantons-Confédération a alimenté le débat. Alors que la tendance est à la centralisation, l’administration fédérale a généreusement soutenu le transfert de la compétence de régulation des animaux sauvages aux cantons. «Parfaitement logique, selon Isidor Baumann (PDC/UR), en ville, ce sont les fientes de pigeons qui posent problème et c’est là-bas que le problème doit être résolu. Donnez-nous donc la compétence de réguler les loups nous-mêmes là où il y en a!» La conservation de la faune sauvage est cependant l’affaire de tous, lui a répondu Daniel Jositsch, «pas seulement des cantons de montagne». Ce sont pourtant bien ces derniers qui ont fini par imposer leur vue au Conseil des Etats, puisque le transfert décisionnel des tirs de régulation leur permettrait d’imposer leur vision des choses sur leur territoire.
La «consternation» chez les écologistes
C’est «sans surprise», mais avec une «grande déception» que les écologistes ont accueilli la décision du Conseil des Etats, que Pro Natura a qualifiée de «politique du XIXe siècle de suppression des nuisibles». Directeur adjoint de BirdLife Suisse, François Turrian enfonce le clou: «C’est l’ensemble du système de protection qui est jeté aux orties», dit-il, indiquant qu’un référendum est «pratiquement garanti». A noter que plusieurs associations de défense de la biodiversité suisse ont à l’origine soutenu la motion déposée par Stefan Engler, dans l’espoir d’une révision de la loi sur la chasse qui leur serait favorable. Pour un résultat catastrophique: «La révision a ouvert la boîte de Pandore», reconnaît l’une des organisations.
Certains volatiles ont toutefois sauvé leurs plumes, puisque les sénateurs ont corrigé la copie du Conseil fédéral et banni la chasse de plusieurs espèces de canards sauvages, dont le fuligule milouin, la macreuse brune ou encore le canard chipeau. «Purement cosmétique, critique François Turrian, cela représente à peine 2,5% des oiseaux tirés en Suisse chaque année.» Les régulations des loups, lynx ou castors ne pourront également intervenir que «tant qu’elles ne mettent pas en danger les effectifs de l’espèce concernée et si elles sont nécessaires». La «prévention de dégâts» entre toutefois dans cette catégorie, ce qui permet des tirs provisionnels. «Extrêmement problématique», selon le conseiller aux Etats Robert Cramer (Verts/GE), qui a annoncé le ralliement de son parti à un potentiel référendum.
Doris Leuthard gagnée par la lassitude
Selon les dernières statistiques, a déclaré Robert Cramer, «il y a, dans tout le pays, 45 loups, 2 ours et 200 lynx». Cette information n’a pas échappé à Doris Leuthard, conseillère fédérale chargée de l’Environnement, qui, manifestement agacée par l’objet du jour, a souligné avec une pointe d’ironie qu’au vu des heures passées sur la question ces dernières années, «il apparaît que la Suisse a un problème massif avec ses grands prédateurs».
Les dégâts causés par ces derniers ne coûtent que 140 000 francs par année à la Confédération, a balayé la politicienne, qui a conclu qu’il existait «des problèmes plus importants». Elle devra prendre son mal en patience: le Conseil des Etats n’a pas pu traiter tous les articles de la loi et se réunira de nouveau la semaine prochaine, après quoi l’objet passera au Conseil national, puis, en cas de référendum, devant le peuple.