«Au nom du Conseil fédéral, j’exprime mes regrets sincères envers les personnes adoptées et leurs familles.» Ce lundi à Berne, la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter a fait acte de contrition. La raison de ces effusions: la publication d’un rapport de l’administration fédérale reconnaissant de graves irrégularités de la part des autorités cantonales et fédérales au cours de l’adoption de 900 enfants en provenance du Sri Lanka entre 1973 et 1997. Les principaux concernés saluent «un premier pas encourageant».

«Je ne suis née nulle part»

En 2017, l’ancienne conseillère nationale Rebecca Ruiz (PS/VD) déposait un postulat chargeant le gouvernement d’enquêter sur les pratiques d’adoption en cours avec le Sri Lanka dans les années 1980. Un premier rapport sur le sujet sortait en février, révélant un sombre tableau: des 900 adoptions en provenance de la perle de l’océan Indien, beaucoup étaient illégales, réalisées sans le consentement des parents biologiques, issues de nourrissons volés ou en provenance de «fermes à bébé», lieu où des femmes étaient mises enceintes par des hommes blancs pour engendrer des enfants à la peau plus claire. Le texte mettait en lumière la passivité complice de la Confédération et des cantons qui, malgré de nombreux indices, avaient largement traîné avant de prendre des mesures pour mettre un terme à ces dysfonctionnements.

Sans s’excuser – «les irrégularités ne relevant pas d’une politique officielle» –, le Conseil fédéral a fait amende honorable. Pour mêler la parole aux actes, il a annoncé la création d’un groupe de travail composé de représentants de la Confédération, des cantons et de personnes adoptées afin de soutenir ces dernières dans la quête de leurs origines. Porte-parole de l’association Back to the roots, qui soutient les intérêts des enfants sri-lankais adoptés en Suisse, Sarah Jaques salue cette initiative: «Nous nous attendions à un positionnement du Conseil fédéral, ce qu’il a fait. Il est important pour nous d’entendre la reconnaissance d’une faute.» Elle demande cependant davantage. Un appui concret dans ses recherches notamment: «Je ne suis née nulle part. Mes documents officiels sont falsifiés. Et nous sommes beaucoup dans mon cas. Le seul espoir réside dans une base de données ADN. Nous espérons une aide de la Confédération en ce sens.»

Le fédéralisme en question

Spécialiste des questions d’adoption au sein de l’Office fédéral de la justice, Joëlle Schickel ne ferme pour le moment aucune porte: la Confédération pourrait mettre la main au porte-monnaie. «Un soutien financier pourrait par exemple prendre la forme d’une contribution aux voyages sur place, suggère-t-elle: cette possibilité devra cependant encore être discutée avec les cantons.» Car à l’instar de beaucoup d’autres choses en Suisse, les procédures d’adoption ne sont pas centralisées. Un système qui, souligne le rapport, a ses avantages (proximité linguistique avec les parents, par exemple), mais également des défauts importants. Selon le canton, la durée, la méthodologie, les frais des procédure mais surtout les connaissances administratives nécessaires au suivi d’un dossier varient en effet grandement.

Depuis l’entrée en vigueur en Suisse de la Convention de La Haye sur les droits de l’enfant en 2003, la Confédération gère une grande partie des procédures en lien avec la centaine d’autres pays conventionnés. Toutefois, l’adoption d’enfants en provenance d’Etats non membres – comme la Russie – revient entièrement aux autorités cantonales, dont certaines disposent d’expertises parcellaires. Outre la question des enfants sri-lankais, et afin d’éviter que les erreurs du passé ne se répètent, le Conseil fédéral a ainsi annoncé la création d’un groupe d’experts destiné à sonder en profondeur le système suisse d’adoption. A noter que s’il est imparfait, sa charge de travail a largement diminué depuis la fin du siècle dernier. En 1980, jusqu’à 800 enfants en provenance de l’étranger prenaient chaque année le chemin des Alpes. En 2019, ils n’étaient plus que 72.