Coronavirus
L’OFSP corrige ses chiffres sur les lieux d’infection du coronavirus, mais publie une nouvelle statistique qui n’est pas plus crédible tant elle comporte de lacunes

Qui croire? Ce week-end, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) publie un rectificatif indiquant que ce n’est pas dans les discothèques que se transmet le coronavirus, mais dans les familles. Dimanche soir pourtant, Mauro Poggia, patron du Département genevois de la sécurité, de l’emploi et de la santé, précise sur la RTS que son canton a fermé les boîtes de nuit sur la base de ses propres chiffres. Entre les cantons et l’OFSP, la cacophonie est totale.
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L’OFSP doit en assumer une grosse part de responsabilité. Jeudi 30 juillet, son directeur, Pascal Strupler, lance aux cantons un message ambigu. Il rappelle que dans l’état de «situation particulière», c’est à eux qu’il incombe désormais de maîtriser la crise. Mais dans la foulée, il estime nécessaire de les «secouer» en les incitant à examiner le port du masque dans tous les endroits publics fermés et à réduire à 100 le nombre de personnes dans les boîtes de nuit. La Conférence des directeurs cantonaux de la santé (CDS), qui juge le bilan d’après le déconfinement «principalement positif», n’apprécie guère.
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«Une malencontreuse erreur humaine»
Un jour plus tard, c’est le couac. L’OFSP transmet à la radio alémanique des chiffres erronés, selon lesquels les boîtes de nuit sont à l’origine des nouvelles infections de coronavirus dans 42% des cas. Ce dimanche, il doit rectifier: en réalité, c’est dans les familles que le virus se propage (27%) en premier lieu, les discothèques n’arrivant qu’en queue de liste (2%). «Une malencontreuse erreur humaine, due au fait que c’est la première fois que l’OFSP recueille l’information sur les voies de transmission du virus depuis le 16 juillet dernier», regrette l’OFSP.
A vrai dire, cette statistique n’autorise à aucune conclusion définitive dans la mesure où l’origine de la transmission du virus reste inconnue dans 40% des cas. Sur les réseaux sociaux, les internautes se déchaînent en découvrant les lacunes qui subsistent dans ces données. «Rien n’est plus faux que cette nouvelle statistique», s’irrite l’un d’entre eux. Nouveau président des Verts, Balthasar Glättli juge ce couac de l’OFSP «pénible», ajoutant que sur un thème aussi brûlant, les statistiques devraient être vérifiées avant d’être communiquées au grand public.
Les différences entre les cantons
Sur la base d’un formulaire précis, ce sont les médecins qui transmettent directement à l’OFSP les nouveaux cas de coronavirus, dont les médecins cantonaux sont bien sûr aussi informés. Mais certains cantons ne tiennent pas de statistiques sur les lieux d’exposition des nouvelles infections. Ce n’est pas le cas de Genève, l’un des cantons suisses les plus touchés par la crise, qui suit la situation très attentivement en procédant à de grandes enquêtes d’entourage, qui impliquent souvent plus de 300 personnes.
Selon le Département de la sécurité, de l’emploi et de la santé dirigé par Mauro Poggia, les déclarations des médecins des nouveaux cas de coronavirus parviennent à l’OFSP avec un délai important et n’offrent donc pas une visibilité en temps réel de l’évolution de la situation épidémiologique locale. Or, le Conseil d’Etat a pris la décision de fermer toutes ses boîtes de nuit après avoir constaté un nombre important de foyers (ou «clusters») dans une vingtaine de lieux festifs, tous concernés par deux à vingt cas. Soit environ 40% des nouvelles contaminations, le taux de positivité des tests ayant même grimpé de 2 à 12% en trois semaines.
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«L’OFSP n’est plus crédible»
«Le revirement de l’OFSP n’est pas crédible, tranche Philippe Eggimann, le président de la Société médicale de la Suisse romande. Ce sont les chiffres détaillés issus des cantons en charge du dépistage et du traçage des cas qu’il faut croire.» Ce nouveau couac, survenant après la polémique sur la nécessité ou non de porter un masque pour les bien portants, nuit donc à une réputation de l’OFSP déjà ternie. «C’est dramatique, car au seuil d’une probable deuxième vague, la Suisse a besoin d’une administration crédible sur laquelle les décisions des politiques puissent s’appuyer. Sinon, c’est l’action du Conseil fédéral lui-même qui est discréditée», renchérit Philippe Eggimann.
Entre Berne et les cantons, «c’est le chaos», résume le conseiller aux Etats Damian Müller (PLR/LU). «Il faut absolument que les deux parties se parlent davantage et coordonnent mieux leurs efforts», insiste-t-il.
Reste à savoir dans quelle direction. Philippe Eggimann prône l’uniformisation d’un certain nombre de mesures au niveau fédéral, telles que la fermeture des boîtes de nuit, l’obligation du masque pour tous les personnels de commerces et plus globalement dans tous les lieux publics ouverts comme fermés. Damian Müller s’oppose en revanche à ce que toutes les mesures prises le soient dans un but restrictif. «Il faut offrir des perspectives aux institutions culturelles et aux clubs sportifs, qui ne peuvent pas vivre avec un public réduit à 100 personnes. Demandons-leur un concept de sécurité crédible qui leur permette d’accueillir un public plus large, quitte à ce qu’il porte un masque de protection», propose-t-il. Le débat sur les lourdeurs du fédéralisme en cas de crise n’est pas près de s’apaiser.