Il fallait le voir, Ignazio Cassis, mercredi à 9 heures à peine, entre les deux tours de l’élection au Conseil fédéral. Entouré d’un halo de parlementaires, déjà félicité par certains, irradiant. Le Tessinois a revêtu son costume de conseiller fédéral avant l’heure.

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Mais c’est sans doute au moment de sa prestation de serment que la symbolique de son élection a pris toute sa force. Au président du Conseil national, Jürg Stahl (UDC/ZH), qui lui demandait de répéter en allemand «Ich schwöre es», Ignazio Cassis a souri et répondu «lo giuro», précédant les rires et les applaudissements de l’Assemblée fédérale. L’italianità est de retour au gouvernement, après dix-neuf ans d’absence.

Je n’ai fait de promesses à personne. La seule promesse que j’ai faite est de ne pas changer

Ignazio Cassis, conseiller fédéral

S’il sait ce que son élection doit à son origine, Ignazio Cassis s’est pourtant gardé de se draper dans ses seuls attributs tessinois mercredi. Et à peine trois heures après son élection, à un journaliste qui lui demandait ce qu’il allait amener au gouvernement en tant que représentant de la Suisse italienne, le nouveau ministre répondait avec une pointe d’agacement:

«Pourquoi devrais-je me justifier d’être Tessinois? Je suis un citoyen suisse, j’ai le droit d’être élu. Avez-vous demandé à Ueli Maurer ce qu’il amène au Conseil fédéral en tant que Suisse alémanique?» Un chapitre du débat sur la représentativité linguistique du Conseil fédéral se referme.

Une citation communiste pour commencer

Un autre s’ouvre, sur le profil politique du nouveau conseiller fédéral. A gauche de l’hémicycle, l’annonce de l’élection d’Ignazio Cassis n’a provoqué que des applaudissements polis. Le Parti socialiste s’est empressé en juin, la démission de Didier Burkhalter à peine annoncée, d’affubler à dessein le Tessinois du surnom de «Kranken-Cassis», à savoir l’homme des assureurs maladie.

Puis, ce sont les déclarations en termes de politique extérieure du candidat Cassis – qui estime par exemple qu’il y a «trop de migrants en Suisse» – et l’abandon polémique de son passeport italien qui ont marqué les esprits à gauche et au centre. Lors de son premier discours de ministre devant l’Assemblée fédérale, le nouvel élu a voulu tendre la main à ceux qui n’ont pas voté pour lui, en citant la militante communiste Rosa Luxemburg: «La liberté, c’est toujours la liberté de penser autrement.»

Avec cette citation, je souhaitais que chaque parlementaire comprenne que les petits jeux précédant une élection sont terminés

Ignazio Cassis, conseiller fédéral

Présente dans la tribune, la conseillère d’Etat vaudoise Cesla Amarelle réagissait par un tweet rageur: «Il ne suffira pas de citer Rosa Luxemburg pour cacher l’udceisation (sic) toujours plus grande de la Suisse.» Plus tard, Ignazio Cassis expliquera cet emprunt littéraire: «J’étais conscient que l’appui de l’UDC allait m’éloigner de la gauche. Mais je n’ai rien demandé. Avec cette citation, je souhaitais que chaque parlementaire comprenne que les petits jeux précédant une élection sont terminés. C’est aussi un message d’ouverture pour les partis non gouvernementaux – les Verts, le PBD et les Vert’libéraux – qui auront aussi mon oreille.»

Pourtant, c’est un fait. Ignazio Cassis doit son élection à la droite, l’UDC et son imposant groupe parlementaire en tête. Assez consciemment, il est allé chercher les voix dans les rangs du parti blochérien, en disant lui-même qu’il s’était droitisé au fil de ses années de conseiller national à Berne. «L’UDC a un intérêt à ce que la formule magique soit respectée. Visiblement, entre mon positionnement et ma provenance, le parti a trouvé une bonne combinaison. Mais je n’ai fait de promesses à personne. La seule promesse que j’ai faite est de ne pas changer», assure le Tessinois, qui se décrit comme un libéral pur sucre, tant sur le plan économique que sociétal.

Le DFAE sans doute au nouvel élu

Le Conseil fédéral adoptera-t-il une position plus à droite avec l’arrivée d’Ignazio Cassis en son sein? «On nous dit cela et dans les six mois, l’UDC se plaindra que le Conseil fédéral est trop à gauche. Cela fait partie du storytelling de l’UDC», balaie le président du Parti socialiste, Christian Levrat. Le Fribourgeois reconnaît qu’au jeu des différences auquel se prête chaque candidat avant une élection au gouvernement, la tendance est à l’exagération. «Au final, les trois candidats étaient politiquement les mêmes à quelques détails près.» Pour Christian Levrat, «la répartition des départements est désormais centrale».

Cette dernière se fera vendredi. Malgré le vague plan dont le quotidien Blick se faisait écho en début de semaine, annonçant l’appétit de la droite sur le Département de l’intérieur dirigé par Alain Berset (PS), il n’y aura sans doute pas de surprise à l’issue de la séance du gouvernement. Ignazio Cassis, qui se dit «curieux de nature», devrait remplacer Didier Burkhalter au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE).

Défenseur de la voie bilatérale

Et s’il est un département dans lequel le nouvel élu aura de la peine à plaire à l’UDC, c’est bien celui-là. La question centrale de la définition de la politique européenne est déterminée par le collège. Ce dernier a fixé dans son programme de législature la nécessité de parvenir à un accord-cadre institutionnel avec l’Union européenne, permettant de dynamiser la voie bilatérale. Ignazio Cassis s’est montré prudent à ce propos, à un détail près qui touche au vocabulaire. Il préfère parler de «règlement» plutôt que «d’accord-cadre», un terme qu’il juge empoisonné: «N’oubliez pas que les mots portent en eux des réalités. S’ils sont empoisonnés, il faut les changer», a-t-il encore plaidé dans ses nouveaux habits de ministre mercredi.

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Hormis ces soucis de vocabulaire, Ignazio Cassis n’en reste pas moins un défenseur de la voie bilatérale, à des kilomètres de l’ambition de l’UDC de dénoncer l’accord sur la libre circulation des personnes et de détricoter ainsi les bilatérales I. Sans surprise le Parti socialiste s’est donc dit prêt à travailler avec le Tessinois, «en particulier s’il devait récupérer le portefeuille des Affaires étrangères». Une prise de position qui rappelle aussi que le PLR et le PS ont travaillé main dans la main pour parvenir à une mise en œuvre légère de l’initiative «contre l’immigration de masse».


Nos articles le jour de l’élection, 20 septembre 2017