Depuis jeudi, Le Temps propose une extension de navigateur internet permettant d’afficher les liens d’intérêt des parlementaires fédéraux sur une vingtaine de sites de médias suisses, dont le nôtre, mais aussi 24heures.ch, rts.ch/info, beobachter.ch, etc. Comme d’autres extensions, telles qu’Adblock plus, Video DownloadHelper ou Google Dictionary, elle se greffe sur un navigateur web et met en évidence les noms des parlementaires cités dans les articles. En cliquant sur leur nom, les lecteurs obtiennent la liste de leurs liens d’intérêt et de leurs invités au parlement.

Installer l’extension

Une manipulation rendue possible grâce à un projet lancé il y a onze ans par deux journalistes alémaniques. En 2008, Thomas Angeli, du Beobachter, décide de dresser une liste de tous les «invités» du Palais fédéral, soit les personnes auxquelles les parlementaires donnent un badge d’accès permanent. Cette liste n’est disponible que sous forme imprimée, dans un bureau du palais, avec interdiction d’utiliser la photocopieuse installée à quelques mètres. «J’ai passé plusieurs matinées à la recopier, raconte Thomas Angeli. C’était absurde.»

Il publie ensuite une série d’articles sur les jeux d’influence au parlement avec son collègue Otto Hostettler, également journaliste au Beobachter. Ce dernier veut absolument créer une base de données des lobbies du parlement et de leurs relations avec les élus. Le travail est colossal, mais facilité dès 2011 par la publication des listes d’invités sur le site du parlement. Un premier jeu de données est publié en 2013.

«Nous avons commencé par la Commission de la santé, explique Thomas Angeli. Les caisses maladie et les lobbies pharmaceutiques sont particulièrement influents au parlement. Ils ciblent les élus qui siègent dans cette commission.» Commission après commission, les deux journalistes tissent peu à peu la toile de ce réseau d’influence.

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Données ouvertes

L’informaticien Roland Kurmann s’est joint au binôme en créant une interface permettant de structurer ces informations. «Si une entreprise active dans l’environnement a un lien précisément avec un membre de la Commission de l’environnement, le lien d’intérêt est particulièrement efficace», souligne-t-il. L’intensité de cette efficacité est évaluée dans la base de données.

Le trio a fondé une association sans but lucratif, Lobbywatch, qui reste peu connue du grand public en Suisse romande. Sa base de données, progressivement améliorée et complétée avec des informations demandées aux élus, est publiée en «open data» (données ouvertes): tout un chacun peut utiliser le travail de l’association, à la condition de la créditer. C’est sur cette base que Le Temps a développé son extension, gratuite et publiée en licence libre.

«La transparence est illusoire»

Parmi les élus, les réactions au projet Lobbywatch sont contrastées. Le conseiller national Fathi Derder (PLR/VD) se montre très sceptique à l’égard de l’association: «On peut entrer au parlement comme on veut, il ne sert à rien d’avoir un badge permanent. De plus, le lobbying ne se fait pas sous la Coupole, mais partout ailleurs. Penser que les listes d’invités permettent de voir les lobbies à l’œuvre est faux», lance-t-il.

«La transparence en matière de rencontres avec les lobbies est illusoire: admettre qu’on a bu un café avec un lobbyiste serait grotesque, poursuit le journaliste et parlementaire. En revanche, indiquer ses sources de revenus, y compris son revenu principal, ferait sens. Le fait d’être rémunéré a une influence.»

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Coprésidentes de l’Initiative sur la transparence, la conseillère nationale Lisa Mazzone (Verts/GE) voit au contraire d’un bon œil le travail de l’association mais veut aller plus loin. «La transparence établit la confiance entre les votantes et votants et les parlementaires. Certaines élues et élus assurent cette transparence, mais la plupart non. Mon objectif est que des règles de transparence soient imposées afin que tout le monde y soit tenu.»

Les eurodéputés ont fait un pas dans ce sens en janvier dernier, en décidant de rendre publique la liste de leurs rencontres avec des lobbyistes. La Commission européenne les divulgue déjà depuis 2014. Elles sont consultables de manière plus aisée sur le site integritywatch.eu, un outil développé par Transparency International.

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