Faut-il interdire le port de la burqa en Suisse? Le Conseil national débattra mercredi de l’initiative populaire fédérale de l’UDC «Oui à l’interdiction de se dissimuler le visage» dans l’espace public qui vise, outre le voile intégral ou niqab, les cagoules des hooligans ou des casseurs. Lancé par le Comité d’Egerkingen, également à l’origine de l’initiative anti-minarets, le texte qui a déjà été rejeté au Conseil des Etats en septembre 2019 risque de connaître le même sort dans la Chambre basse. A moins que la pandémie de coronavirus et la présence grandissante de masques ne changent la donne?

Symbole d’oppression pour les uns, signe religieux pour les autres: le débat sur le voile intégral n’est pas nouveau. Certains cantons, à l’instar du Tessin et de Saint-Gall, disposent déjà de lois interdisant de se couvrir le visage dans l’espace public, votées respectivement en 2013 et 2018. Zurich, Soleure, Schwytz, Bâle-Ville et Glaris ont en revanche refusé d’introduire une telle mesure.

Contre-projet indirect

Considérant le sujet pertinent mais la solution mal choisie, le gouvernement a élaboré un contre-projet indirect à l’initiative. Il prévoit qu’une personne soit tenue de montrer son visage à des fins d’identification par exemple lors d’un contrôle dans les transports publics, au moment d’une démarche auprès des autorités des migrations ou des assurances sociales ou encore à la douane. En cas de refus, l’amende pourrait atteindre 10 000 francs. Lors de l’examen du texte en décembre dernier, le Conseil national y a ajouté des mesures en faveur de l’égalité. Selon cette nouvelle version du contre-projet, la loi sur les étrangers devrait inclure des contributions fédérales pour financer des programmes d’intégration destinés aux femmes et aux jeunes étrangers dans les cantons.

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L’UDC est-elle prête à retirer son initiative au profit du contre-projet? Pour Jean-Luc Addor, membre du comité d’initiative, l’hypothèse semble exclue. «Le contre-projet sape les fondements de notre initiative, c’est une coquille vide, lâche le conseiller national UDC. Par respect pour les signataires, il convient de soumettre notre projet au vote populaire.» Car c’est bien dans le peuple et non dans le parlement que l’UDC place ses espoirs. «Nos adversaires sont bien conscients des chances de succès que présente l’initiative», affirme-t-il, soulignant le trouble qu’elle provoque dans les milieux féministes. Certaines socialistes, à l’instar de l’ancienne conseillère aux Etats Géraldine Savary, ont en effet soutenu le projet, considérant le voile intégral, par essence, comme rabaissant pour la femme.

Le masque va-t-il s’inviter dans le débat?

Pourquoi vouloir légiférer sur la burqa, un type de voile qui reste très marginal dans le paysage suisse? «Ce n’est pas une question de nombre, mais de principe», campe Jean-Luc Addor, pour qui le voile est «l’élément ostentatoire du refus de s’intégrer». En ces temps de coronavirus, la question du masque, qui lui aussi couvre partiellement le visage, va-t-elle faire bouger les lignes? «Porter un masque pour des raisons purement sanitaires n’a rien à voir avec un signe religieux, nous n’allons pas laisser le débat dériver sur ce terrain-là.»

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A gauche, les fronts sont partagés. Si elle n’éprouve «aucune sympathie pour la burqa», la Verte vaudoise Léonore Porchet combat néanmoins l’initiative de l’UDC, «qui entend dicter aux femmes comment s’habiller». Elle refuse également le contre-projet, considérant qu’il n’y a pas de problème de burqa en Suisse. «Imposer un contrôle étatique sur le vêtement des femmes n’est pas une solution face aux violences de genre, d’autant plus lorsque la proposition vient d’un parti ultra-conservateur qui ne s’embarrasse en général pas des droits des femmes», tacle la conseillère nationale. N’y a-t-il pas une contradiction, pour une femme de gauche, féministe, à ne pas vouloir interdire le voile intégral? «Il s’agit avant tout d’une question de liberté, estime Léonore Porchet. Dans les cas où le port de la burqa est volontaire, nous n’avons pas à nous en mêler. Lorsqu’il y a une contrainte avérée, en revanche, c’est le mari qu’il faut punir. Le Code pénal le permet déjà.» A ses yeux, l’enjeu central réside dans les moyens investis pour détecter cette contrainte. «Cela passe par des programmes de prévention contre les violences domestiques ou encore par l’éducation.»

Le «piège» de l’UDC

De son côté, la socialiste Ada Marra émet un bémol sur le contre-projet, regrettant que les mesures en faveur de l’égalité ne s’adressent qu’aux étrangers. Quant à l’initiative, elle la combat. «Il faut choisir entre des mesures féministes efficaces et le populisme», estime-t-elle, dénonçant le piège dans lequel l’UDC tente de faire tomber une partie de la gauche. Dans un contexte où il n’y a pas de burqa en Suisse, le parti conservateur entérine selon elle une stigmatisation volontaire des musulmans en prétendant défendre la femme. «Interdire la burqa ne contribuera à émanciper aucune femme en Suisse.» Quant au port du masque, il s’agit selon elle d’une coïncidence cocasse qui montrera peut-être que le vrai problème n’est pas la burqa. «L’UDC veut interdire de se couvrir le visage pour protéger les Suisses, or le masque vise tout le contraire. L’ironie est évidente.»