«Schnegg doit partir!» Lors du récent débat au Grand Conseil bernois sur le paquet d’économies, la gauche n’a pas manqué de manifester à plusieurs reprises. Moins de deux ans après être arrivé au Conseil exécutif, Pierre Alain Schnegg polarise les esprits comme jamais. Non seulement dans le canton, mais aussi dans la Suisse entière, où le monde social suit avec inquiétude les coupes qu’il a faites dans la révision de la loi sur l’aide sociale. «Voici le nouvel ennemi No 1 de l’Etat», a même titré la NZZ.

Cravate dénouée sur chemise bleu clair: Pierre Alain Schnegg reste serein, malgré cette forte exposition médiatique due à une direction mammouth, au budget de 2,5 milliards, qui emploie 300 collaborateurs. «C’est un département passionnant, plein de défis, même s’il faut prendre quelques décisions impopulaires et avoir le courage de sortir de sa zone de confort», ajoute-t-il.

Une ascension fulgurante

De cette zone, il en sort chaque matin à 4h15 lorsqu’il quitte son domicile de Champoz, dans le Jura bernois, pour rejoindre la capitale vers 6h. Premières séances à 7h dans une journée qui se termine entre 20 et 21h. «C’est un immense bosseur, qui ne regarde jamais sa montre», note le président du PLR bernois, Pierre-Yves Grivel.

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Totalement inconnu du sérail politique voici peu, Pierre Alain Schnegg a vite acquis une stature nationale. Beaucoup d’observateurs sont curieux de voir comment cet UDC dirige un département social avec son passé de patron d’une entreprise de logiciels de 140 personnes, au chiffre d’affaires de 25 millions, vendue en 2014. Il n’est entré en politique qu’une année plus tôt, adhérant à un parti où deux de ses quatre enfants militaient déjà. Son ascension est alors fulgurante. Elu au Grand Conseil, le voilà propulsé au printemps 2016 à la tête de la Direction de la santé publique et de la prévoyance sociale. Une sorte de siège éjectable dans la politique cantonale, tant les dossiers y sont brûlants.

Le laboratoire bernois

L’un d’entre eux l’est tout particulièrement: la révision de la loi sur l’aide sociale. Sur ce dossier, Pierre Alain Schnegg n’a pas hésité à briser un tabou en proposant d’abaisser de 10% le forfait d’entretien, ce montant versé par l’aide sociale pour couvrir les coûts de la vie en dehors des frais de logement et de santé. La Conférence suisse des institutions d’aide sociale (CSIAS) recommande de le fixer à 986 francs. Berne est désormais le premier canton à percer ce seuil. Lors de son débat en décembre dernier, le Grand Conseil a finalement approuvé une baisse de 8% à la suite d’une proposition du PBD que le conseiller d’Etat a estimée «acceptable».

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Le plan d’économies du Conseil exécutif concernait tous les départements, mais d’emblée Pierre Alain Schnegg a incarné ce projet. La gauche en a fait l’apôtre de l’austérité du collège, sur lequel elle focalise ses critiques. «Pierre Alain Schnegg défend des valeurs très libérales sur le plan économique et très conservatrices sur le plan sociétal», relève le député socialiste bernois Mohamed Hamdaoui. «Il éprouve une défiance viscérale face à l’Etat, exigeant de l’individu qu’il s’en sorte par ses propres moyens. Ses recettes mènent tout droit à une américanisation de notre société.» Le journal de gauche Die Wochenzeitung a quant à lui décelé en lui «un chrétien impitoyable».

Pierre Alain Schnegg ne nie pas qu’il est croyant et qu’il assiste régulièrement aux cultes d’une Eglise libre de la mouvance réformée à Malleray, «Eglise pour Christ». «Ce n’est pas une secte», tient-il à préciser. Il confie être fortement imprégné de la mentalité de la région dans laquelle il a grandi, soit le Jura bernois. «Sa population est besogneuse et habitée d’un bon sens paysan: elle ne parle pas beaucoup, mais travaille en étant orientée sur les solutions.»

«L’économie au service de l’homme»

Pas question pour lui d’accepter l’étiquette d'«ultralibéral» que la gauche aime bien lui coller. «L’économie doit être au service de l’homme et non l’inverse. Mais, pour qu’elle fonctionne, il faut ce libéralisme qui implique la responsabilité individuelle.»

Sur les 15 à 25 millions d’économies réalisées dans la loi sur l’aide sociale, le conseiller d’Etat a d’ailleurs promis d’en consacrer entre 5 et 15 millions à des mesures de soutien. Son département a accepté de financer plusieurs projets pour insérer de jeunes adultes n’ayant pas de formation dans le monde du travail. Il cherche des solutions pour mieux aider les chômeurs seniors de plus de 50 ans. «Aujourd’hui, l’économie n’a pas de contact avec le social. Il faut rapprocher ces deux mondes.»

Ayant succédé au socialiste Philippe Perrenoud à la tête du Département de la santé et du social, Pierre Alain Schnegg a bousculé certaines habitudes et s’est fait beaucoup d’ennemis. Mais tout le monde lui reconnaît sa force de travail et son indépendance d’esprit, ainsi qu’en témoigne sa prise de position contre l’initiative «No Billag», alors que son parti la soutient largement. Dans le dossier de l’aide sociale, la gauche a promis un référendum qu’il a toujours lui-même appelé de ses vœux. Il ne doute pas que le peuple légitimera sa politique. «Mais s’il ne le fait pas, il faudra corriger le tir. Je suis un démocrate.»


Berne: la majorité se jouera sur le siège romand

En avril 2016, Pierre Alain Schnegg avait fait basculer à droite la majorité au sein du Conseil exécutif bernois lors d’une élection complémentaire. Le 25 mars prochain, ce canton réélit son gouvernement (actuellement 2 UDC, 1 PLR, 1 PBD pour la droite; 2 PS et 1 Vert pour la gauche). C’est probablement de nouveau sur le siège romand que se jouera la majorité.

Le Parti socialiste du Jura bernois a lancé l’enseignant et historien de 54 ans Christophe Gagnebin dans la course pour évincer Pierre Alain Schnegg. Quant au PSA autonomiste, il brigue lui aussi un siège au gouvernement avec Maurane Riesen, doctorante en épidémiologie et ex-présidente du Conseil du Jura bernois.