Pierre Maudet: «Un outsider peut ouvrir le jeu de façon légitime et crédible»
Succession
Avec 90 voix au second tour, le Genevois Pierre Maudet admet une certaine déception mais aucune amertume. Il reste convaincu qu’être parlementaire n’est pas une nécessité pour accéder à la fonction suprême

Le Temps: Votre stratégie n’a pas été payante. Des regrets?
Pierre Maudet: Vous allez vite en besogne. La stratégie se définit en fonction d’un but. Ma campagne visait à débattre d’une vision pour la Suisse, et cet objectif a été atteint. Début août, je partais de zéro, en cumulant trois handicaps. Ne pas être Tessinois, ne pas être femme, ne pas être parlementaire. Mercredi matin, j’ai obtenu 90 voix au second tour. Je pense ne pas avoir fait honte aux Genevois.
– Mais il n’y a pas eu de troisième tour. Elle est là, la défaite?
– J’ai une certaine déception, mais aucune amertume. J’ai l’impression d’avoir fait la meilleure campagne possible, celle où j’ai le plus donné. J’ai appris beaucoup, notamment le fait qu’il est impossible de faire campagne pour le Conseil fédéral sans se découvrir complètement. Vous vous trouvez en lice avec des gens du même parti, qui partagent les mêmes valeurs mais les défendent avec des sensibilités et des priorités différentes. Un exercice d’autant plus difficile.
Cela étant, mon parti devra réfléchir devant l’absence des Romands dans les postes prééminents (conseiller fédéral, président de parti, chef de groupe), alors que le PLR est beaucoup plus fort en Suisse romande qu’en Suisse alémanique.
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– Vous reconnaissez des erreurs, tout de même?
– Je n’ai pas le sentiment d’en avoir commis de majeures. Dans cette élection, j’ai vu de l’intérieur comment fonctionne mon parti, ainsi que le parlement. Et à la fin, je ne maîtrisais plus rien.
– Le comble pour vous qui fonctionnez dans le contrôle!
– Si j’avais réussi quelque chose que je ne maîtrisais pas, c’eût été terrible (rires)! Cela m’aurait obligé à une remise en question totale!
– N’avez-vous pas eu l’impression, ces derniers jours, que les jeux étaient déjà faits?
– Mardi soir, j’étais assez serein. J’avais l’impression que rien n’était joué. Au matin de l’élection, j’étais encore confiant sur ma capacité à atteindre la deuxième position. Puis au premier tour, j’ai été surpris par le score d’Ignazio Cassis, que je prévoyais en dessous. Honnêtement, je tablais sur un tour de chauffe, avec des voix éparses. Mais tel n’a pas été le cas, ce qui verrouillait mes chances de progresser. Car je n’avais plus assez de réserves de voix, étant entendu que celles d’Isabelle Moret ne pouvaient pas toutes me revenir.
– Durant le scrutin, vous vous êtes complètement isolé. Après le premier tour, vous saviez que c’était perdu?
– J’en avais l’intuition mais on y croit toujours. On sait aussi que la dynamique peut changer le matin même. Je ne peux pas non plus exclure un ressort psychologique: nous nous sommes escrimés pendant deux mois à persuader les autres que tout était possible, au point qu’on y a cru nous-mêmes.
– Imaginez-vous réitérer l’exercice dans dix ans?
– A l’heure qu’il est, je ne sais pas. Cela dépendra de ce que je ferai alors, de mon envie et de la constellation politique. D’une manière ou d’une autre, je continuerai à travailler pour une Suisse pragmatique, qui trouve des solutions.
– Cette élection vous a-t-elle démontré la nécessité de passer par la case parlement?
– Je l’envisage sérieusement, comme le changement de passeport, voire le recours à la chirurgie (rires)! Non. Je suis définitivement convaincu qu’il n’est pas bon que seuls les gens du sérail accèdent au Conseil fédéral. D’ailleurs, heureusement, beaucoup de parlementaires ne correspondent pas à la caricature de l’entre-soi, de la cooptation.
Cette élection laissera certainement des traces, en ce sens que les partis devront affronter la question du contenu et élargir leurs tickets. J’ai la faiblesse de penser que cette élection sera un marqueur, avec la démonstration qu’un outsider peut ouvrir le jeu de façon légitime et crédible.
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