Le «Re», le taux qui retient toutes les attentions
Taux de reproduction
Deux valeurs jouent un rôle décisif pour le durcissement des mesures sanitaires: le taux d’occupation des soins intensifs et le fameux taux de reproduction. Qui calcule ce dernier et selon quelle formule? Tanja Stadler nous éclaire

Professeure de science et d’ingénierie des biosystèmes à l’antenne de Bâle de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich et membre de la task force Covid-19, la mathématicienne Tanja Stadler est la grande artisane des formules complexes qui permettent de calculer le taux de reproduction effectif (Re) du virus en Suisse, valeur qui indique le nombre de personnes qu’un malade contamine chaque jour.
Un taux de 1 signifie qu’une personne contaminée infectera une autre personne. Si cette valeur dépasse ce seuil, alors le nombre de nouvelles contaminations s’accélère et la maladie progresse de façon exponentielle.
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Tanja Stadler et son équipe de cinq scientifiques experts en statistiques, épidémiologie, maladies infectieuses et informatique ont besoin d’un recul de dix à quatorze jours pour estimer ce taux. Ainsi, la valeur actuelle de 1,05 reflète la situation épidémiologique du 10 décembre en Suisse.
Le Temps: Comment gérez-vous la lourde responsabilité qui vous incombe?
Tanja Stadler: Actuellement, je m’inquiète surtout du fait que le nombre de cas ne diminue pas, que les décès stagnent à un niveau très élevé et que la situation dans les hôpitaux s’aggrave. La valeur Re doit être rapidement ramenée au-dessous de 1 afin que l’on sorte de la zone à risque.
De quelle façon est calculé ce taux de reproduction?
Notre calcul se base non seulement sur le nombre de cas, mais également sur le taux de positivité des tests effectués, sur les hospitalisations et sur le nombre de décès. Etant donné la difficulté à collecter ces différentes données, ces valeurs nous permettent quatre estimations indépendantes du taux de reproduction. Evidemment, ce seul taux ne suffit pas à une évaluation épidémiologique globale. Il faut le coupler à d’autres facteurs, par exemple le taux d’occupation des hôpitaux.
Pourquoi faut-il un recul de dix à quatorze jours pour estimer ce taux?
Supposons, par exemple, que chaque personne infectée transmette le virus au bout de cinq jours exactement. Si le nombre de nouvelles infections a doublé au bout de cinq jours, on parle d’une valeur Re de 2. Il faut cependant compter environ dix jours entre le moment de l’infection, la confirmation par un test et la transmission des données.
Cette formule est-elle propre à la Suisse ou similaire à d’autres pays?
Mon équipe fournit des valeurs Re à 170 nations, tandis que certains pays calculent leur propre taux de reproduction grâce à des hypothèses très proches des nôtres. Nous avons comparé nos calculs avec des valeurs publiées localement et sommes arrivés à une évaluation fort similaire.
Cet été, le taux de reproduction n’est pas passé au-dessous de 1. A-t-on trop longuement attendu avant de renforcer les mesures sanitaires?
Effectivement, le taux de reproduction était en moyenne supérieur à 1. Cela signifie qu’en été, on assistait déjà à une croissance exponentielle dans toute la Suisse, avec un nombre de cas qui doublait toutes les quatre semaines environ. En automne, la propagation s’est accélérée, les cas doublant chaque semaine. Ce n’est que lorsque des mesures strictes ont été prises en Suisse romande, fin octobre, que le nombre de cas a pu diminuer avec succès.
Quelle pourrait être l’incidence de la nouvelle souche apparue au Royaume-Uni sur le taux de reproduction?
Selon nos collègues de l’Imperial College de Londres, cette nouvelle variante serait susceptible d’augmenter de 0,4 le taux de reproduction. Si cette variante devait se répandre en Suisse, alors les infections doubleraient chaque semaine et viendraient s’ajouter au nombre déjà élevé de cas actuellement répertorié. On ne peut pas se permettre cela. Il faut des mesures efficaces dans tous les domaines. Et ce, le plus rapidement possible.