Le parlement fédéral débattra ce lundi d’un sujet qui désespère les milieux de la prévention depuis des années: la réforme de la loi sur les produits du tabac. Le but? Restreindre les possibilités offertes aux cigarettiers de faire de la publicité dans le pays. Un premier projet de loi avait échoué en 2016, toutefois la situation pourrait avoir changé: l’initiative populaire «Oui à la protection des enfants et des jeunes contre la publicité pour le tabac» a été déposée l’année dernière, la polémique du parrainage avorté d’un pavillon d’exposition suisse à Dubaï par Philip Morris a explosé en 2019 et le Conseil fédéral souhaite aller de l’avant avec la convention-cadre de l’OMS sur le tabac, signée en 2004 mais jamais ratifiée – à l’inverse de plus de 180 pays.

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Quinze cantons vendent des cigarettes aux mineurs

«Je ne suis personnellement pas favorable à l’interdiction de la publicité pour le tabac», souligne cependant Philippe Nantermod (PLR/VS), qui siège à la commission du Conseil national s’occupant de santé publique (CSSS). «Bannir ce qui s’adresse directement aux mineurs, d’accord. Mais ce qui pourrait «peut-être» toucher les mineurs, non.»

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C’est l’un des points chauds du débat à venir. Si certaines réformes comme l’interdiction de la vente de cigarettes aux moins de 18 ans – encore possible dans 15 cantons – devraient s’imposer, les limites marketing à fixer aux cigarettiers sont très disputées. Seuls deux domaines publicitaires leur sont actuellement interdits: la radio et la télévision.

«De la poudre aux yeux»

Les plus libéraux ne souhaitent toutefois pas davantage de restrictions. Ou pas pour tout le monde. L’une des alternatives suggère ainsi que la publicité pour le tabac disparaisse des cinémas et de l’espace public, mais qu’elle continue d’être autorisée dans les journaux et sur les sites internet «qui ne sont pas destinés aux mineurs». Le parrainage de manifestations dont le public a plus de 18 ans serait également toujours possible.

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«De la poudre aux yeux», s’offusque Luciano Ruggia, directeur de l’Association suisse pour la prévention du tabagisme. «Si des possibilités continuent de permettre à l’industrie d’afficher ses produits, dit-il, des mineurs seront toujours touchés d’une manière ou d’une autre. Prenez la publicité numérique, désormais de très loin la plus importante. Si un influenceur adulte fait de la pub pour des cigarettes sur Instagram, est-ce considéré comme une campagne s’adressant uniquement aux majeurs? Les frontières sont floues, ce que les fabricants savent et qui fait bien évidemment partie de leur stratégie.»

«N’oublions pas les bénéfices de la loi actuelle»

Egalement membre de la CSSS, Pierre-Yves Maillard (PS/VD) abonde dans le sens de Luciano Ruggia. «Lors du débat en commission, il n’a pas été évident d’identifier les espaces qui ne toucheraient que les mineurs. Je soutiens personnellement l’initiative populaire, et une révision de la loi en ce sens.» Déposée en octobre 2019, celle-ci demande l’interdiction de «toute forme de publicité des produits du tabac qui atteint les enfants et les jeunes».

Ce qui, compte tenu de l’omniprésente mixité générationnelle sur le web ou dans l’espace publique, paraît pointer vers une interdiction généralisée. Fidèle aux valeurs libérales de son parti, c’est justement ce scénario qui déplaît à Philippe Nantermod: «L’interdiction de publicité d’un produit légal est hypocrite, sans parler du fait qu’elle finance beaucoup de grandes manifestations.»

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Le coronavirus s’invite dans le débat

En pleine pandémie de coronavirus, Pierre-Yves Maillard souligne l’ironie du temps. «La droite soutient qu’une interdiction de la publicité contreviendrait au principe constitutionnel de garantie de la liberté économique. Cet argument est devenu assez surréaliste devant tous les interdits mis en œuvre pour protéger la population d’un virus qui ne tuera jamais autant que le tabac. Si nous nous préoccupons véritablement du bien-être de nos concitoyens, il faut agir sur ce fléau.»

L’OFSP considère lui-même que «la réglementation suisse n’est pas assez stricte en comparaison internationale». Ce que le Conseil fédéral sait, malgré une stratégie ambiguë. L’exécutif a en effet pris position en faveur d’une réforme qui permettrait de ratifier la convention de l’OMS, et s’est cependant positionné contre l’initiative populaire, soulignant «préférer que de telles mesures soient introduites au parlement».

Au-delà de la question publicitaire, notons encore que le débat de lundi contiendra 38 propositions de minorité concernant les arômes, les filtres, les exportations ou encore la cigarette électronique, actuellement soumise à la loi sur les denrées alimentaires et dénuée de toute limite d’âge. D’après l’OFSP, près de 30% de la population suisse fume – une proportion inchangée depuis dix ans – et 9500 personnes meurent chaque année des suites de la consommation du tabac.