Épidémie
Les autorités fédérales s’attendent à une augmentation des cas d’ici une semaine. Armée, aéroports, manifestations, cette situation exceptionnelle affecte désormais la vie de l’ensemble du pays

Berne, samedi 29 février, 13h30. Le visage grave, Daniel Koch pénètre une nouvelle fois dans cette salle de presse qu’il fréquente avec assiduité depuis que l’épidémie de covid-19 a atteint l’Europe. Mais cette fois, le responsable de la division Maladies transmissibles de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) le sait: c’est à lui qu’il incombe de répondre aux inquiétudes. La veille, dans cette même salle, Alain Berset annonçait que la Suisse était passée d’une situation «normale» à une situation «particulière». En vertu de la loi sur les épidémies, le Conseil fédéral interdit les rassemblements de plus de 1000 personnes. Ce samedi, Daniel Koch pèse ses mots. «Au vu du développement de la situation épidémiologique en Italie, il faut se préparer à l’apparition de nouveaux cas en Suisse d’ici une semaine», explique-t-il avant de faire une brève pause. «C’est inévitable», ajoute-t-il, la voix légèrement plus basse.
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La suite du week-end confirme l’évaluation de l’OFSP. Un premier cas diagnostiqué dimanche à Fribourg, deux classes de Bienne mises en quarantaine après que le test de l’une des élèves, de retour de Milan, s’est révélé positif. A l’heure d’écrire ces lignes, la Suisse compte 24 cas dans 11 cantons. En Suisse romande, tous les cantons sont concernés, hormis Neuchâtel et le Jura. Mais la bonne nouvelle relevée par Daniel Koch est de taille: à l’inverse de l’Italie ou de l’Allemagne, la Suisse n’a pas perdu le contrôle de la chaîne de transmission. Les équipes soignantes savent exactement avec qui ces 24 individus ont eu des contacts. Et aucun d’entre eux ne relève d’une contamination sur sol suisse.
L’armée en renfort
Moins d’une semaine après l’identification du premier malade au Tessin, la Suisse se trouve désormais face à un défi sanitaire et logistique important. Et pour pouvoir maîtriser la propagation du coronavirus, les autorités déploient des moyens inédits. Si les manifestations de plus de 1000 personnes sont bannies, «celles comptant 999 participants doivent être avalisées par les cantons», insiste Daniel Koch. Des restrictions supplémentaires ne sont pas exclues, à l’image des mesures prises par le canton de Berne imposant aux organisateurs de connaître chaque participant et de pouvoir prouver qu’aucun ne revient d’une région touchée par la maladie. La ville de Coire va encore plus loin en interdisant tout événement rassemblant plus de 50 personnes. Ces restrictions pourraient-elles s’appliquer au plan national? «Ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera peut-être plus après-demain», résume Alain Berset dans plusieurs titres de la presse dominicale.
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Le Département de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) annonce être prêt à fournir son aide. Dans son communiqué, le DDPS indique que «l’armée se prépare en particulier à de possibles engagements en faveur des autorités civiles, notamment pour effectuer du screening dans les aéroports, des transports, des tâches de désinfection et des soins médicaux de niveau élémentaire.»
En Suisse romande, ce «screening» concerne l’aéroport de Genève et relève de l’équipe du professeur Didier Pittet. Le chef du service de prévention et contrôle de l’infection des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) a indiqué à la RTS que les préparatifs étaient en cours afin de permettre d’examiner les passagers «de certains vols spécifiquement désignés» à leur descente d’avion. Trois médecins et une dizaine d’infirmiers recevraient alors une assistance militaire pour gérer le processus.
«Ne courez pas à l’hôpital»
Retour à la salle de presse du Palais fédéral. Daniel Koch a une autre préoccupation. Car si le responsable de la division Maladies transmissibles de l’OFSP connaît les moyens déployés par les différentes autorités, il ne sait pas comment réagira le public. Sa voix calme monte d’un cran lorsqu’il formule sa principale requête: «Nous devons préserver nos ressources pour nous concentrer sur les cas les plus graves, les personnes âgées et les malades chroniques. Par conséquent, les cas légers doivent faire preuve d’autodiscipline. Si vous toussez ou si vous avez le rhume, ne courez pas à l’hôpital ce week-end pour ne pas surcharger le système.»
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Dimanche en fin d’après-midi, les informations que Le Temps a pu recueillir auprès de plusieurs hôpitaux indiquent que la majorité des Suisses a entendu cet appel. A Genève, le service de presse des HUG évoque un week-end «extrêmement calme». Son équivalent au CHUV de Lausanne décrit deux journées «relativement calmes», tout comme celui de l’Ile à Berne. Ici ou là, les appels sont en augmentation, notamment aux Etablissements hospitaliers du Nord vaudois. Olivier Guerdat, responsable de la communication de l’Hôpital du Jura, dénombre quant à lui moins d’une trentaine de coups de fil en lien avec le coronavirus entre samedi et dimanche. «Cela montre que la population réagit de manière très disciplinée et réfléchie», souligne-t-il. La situation est légèrement différente à Zurich, où l’hôpital universitaire constate depuis plusieurs jours une affluence un peu plus élevée. «Mais la plupart des gens ont compris qu’il fallait d’abord appeler son médecin traitant ou le médecin de garde», pondère sa porte-parole Barbara Beccaro.
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Fermeture des écoles
L’autodiscipline helvétique s’appliquera-t-elle à des parents potentiellement inquiets de voir leurs enfants aller à l’école? L’OFSP l’espère et ne préconise pas la fermeture des établissements scolaires puisque le coronavirus épargne les plus jeunes. «A l’inverse des personnes âgées, ajoute Daniel Koch. En fermant les écoles, beaucoup de grands-parents seraient sollicités pour garder les enfants. Or, nous devons à tout prix éviter le mélange entre générations.» «Est-on une personne âgée si l’on a plus de 60 ans comme moi?» demande un journaliste. «Oui et je vous rassure, je suis dans le même cas que vous», répond Daniel Koch en esquissant son unique sourire lors de cette conférence de presse.