«Le climat est dans le besoin.» Par ces mots, le Conseil municipal de la ville de Berne – l’exécutif – a dévoilé lundi 27 mai un catalogue d’actions: interdiction de voyager par avion pour toute l’administration, réductions sur les abonnements de transports publics pour les jeunes, centres urbains sans voitures, réduction des places de stationnement publiques. Il a adopté un document de synthèse et un plan d’action contenant 22 mesures pour lutter contre le réchauffement climatique d’ici à 2035. Toutes seront débattues ce jeudi par le parlement communal. 

Ce faisant, la ville de Berne évite habilement de déclarer l’urgence climatique, comme le préconise la militante suédoise Greta Thunberg. Un discours largement repris par les manifestants du climat et qui a imprégné les paroles et les décisions des élus, y compris des cantons et villes suisses.

De Bâle à Wil, en passant par Yverdon-les-Bains, un très grand nombre d’hémicycles se sont saisis des préoccupations des manifestants face au réchauffement de la planète. En février, le Grand Conseil fribourgeois a voté une résolution sur le climat et le canton de Vaud a adopté un texte déclarant l’urgence climatique. Plus récemment, les élus de la ville de Genève ont invité leur exécutif à «étudier l’opportunité et la faisabilité de déclarer rapidement l’urgence climatique». Des textes non contraignants.

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«Cela fait quinze ans que je travaille sur les changements climatiques, il a toujours été clair qu’il y avait «urgence», note Dominic Roser, spécialiste en éthique du changement climatique à l’Université de Fribourg. Nos données n’ont pas changé de manière significative. Ce qui a changé, c’est que le public et les politiques s’en emparent. C’est enfin la bonne attitude et cela me réjouit en tant que scientifique.»

Un traitement politique accéléré

D'abord symbolique, la portée de ces textes contribue à faire évoluer les mentalités. «Avoir des causes soutenues par tous les partis est un joli challenge», relève Anne Gillardin Graf, conseillère communale vert’libérale d’Yverdon. «Le but était de faire admettre qu’il y a une urgence et qu’un maximum de personnes de différentes sensibilités la reconnaissent. C’est chose faite: une commission interpartis siège aujourd’hui sur les questions de l’environnement», se félicite Laurent Miéville, le député vaudois à l’origine de la résolution sur l’urgence climatique. Il souligne trois autres conséquences: montrer au public que le politique se mobilise, traiter plus rapidement les questions pouvant bénéficier au climat et obtenir un consensus pour leur allouer davantage de moyens.

L’environnement figure depuis plusieurs mois en haut de l’agenda politique. Le dernier numéro de la revue de l’Union des villes suisses est entièrement consacré au climat. Trois spécialistes y nomment les mesures que les municipalités peuvent concrètement prendre à leur échelle: construire des bâtiments énergiquement efficaces, approvisionner une ville par des sources d'énergie renouvelables et encourager les transports publics. Certes, des programmes similaires existent déjà. Cependant, «si l’on veut […] que l’augmentation de la température de la planète reste au-dessous de 1,5°C, des efforts supplémentaires sont nécessaires».

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Anne Gillardin Graf voit aussi dans cet engagement local multiple «la possibilité de rassembler une masse critique capable d’influencer les dirigeants à grande échelle». Charlotte Nicoulaz, coordinatrice chez Alternatiba Léman, fait la même observation: «Les organisations de sensibilisation, les grèves, les recours en justice des Aînées pour la protection du climat et la désobéissance civique, tout cela se mêle et la mayonnaise est en train de bien prendre.»

De la parole aux actes

Après les mots, il faudra agir. Ecrire des plans d’action et les faire appliquer, auprès des citoyens comme des entreprises, relève Charlotte Nicoulaz. «Les municipalités comme les entreprises pensent parfois que leurs déclarations n’ont pas besoin d’être suivies d’effets. Or le public se souvient des mots prononcés et met la pression, les contraignant à agir. C’est ce que le philosophe norvégien Jon Elster appelle la force civilisatrice de l’hypocrisie», décrit Dominic Roser.

Est-ce nécessaire de déclarer l’état d’urgence climatique, comme l’a fait le canton de Zurich par exemple? Ivo Wallimann-Helmer, professeur en humanités environnementales à l’Université de Fribourg, n’en est pas si sûr: «Si l’on veut être conservateur, on peut voir un danger dans l’évocation d’un état d’urgence climatique. Si on le fait, il faut surtout s’assurer que cela ne signifie pas que des décisions puissent être prises sans avoir besoin d’être légitimées démocratiquement.»

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Pour Dominic Roser, tout sera une question de timing politique: «Il y a un temps pour dire le choc et l’urgence et un autre pour implanter des mesures concrètes, dit-il. Si l’on passe trop rapidement de l’un à l’autre, le danger est de ne pas aller assez loin, que la passion se perde dans le jeu politique quotidien. Si à l’inverse on va trop lentement, le risque est que l’on se perde dans des déclarations et des rêves qui ne se matérialiseront jamais.»

Mardi 28 mai, les députés vaudois de Décroissance-Alternatives en ont fait l’expérience. Leur projet de loi «sur l’action publique face à l’urgence climatique» proposant de consacrer six principes allant de la justice sociale à l’urgence climatique l’a démontré. Rejetée par la majorité des députés, leur ambitieuse proposition a été qualifiée d’«extrémiste» par ses opposants.