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Le bilan de Jean-François Roth. «Il n'y a de salut pour le Jura que dans l'ouverture»

Homme fort et ambassadeur en chef du gouvernement jurassien depuis douze ans, le ministre PDC se retire dans un mois. Il porte un regard critique sur un Jura qui peine à se moderniser.

«J'ai exercé le pouvoir avec jubilation, mais il faut savoir partir.» Emu, Jean-François Roth a choisi le jour de ses 54 ans, le 1er février dernier, pour annoncer qu'il ne briguerait pas de quatrième mandat au gouvernement jurassien (LT du 02.02.2006). Avant de quitter la politique élective, le 22 décembre au soir, et de devenir président de la Radio-Télévision suisse romande, l'homme fort du Conseil d'Etat livre un testament politique. Un regard lucide sur son canton, dont il fut un bon ministre, dit-il. Il s'est employé à le moderniser, à rendre fréquentable et crédible un dernier-né des cantons connu pour être rebelle.

Le Temps: Avec l'Economie et la Coopération, vous vous étiez taillé un département à votre stature, en 1995. Avez-vous modelé le Jura à votre image?

Jean-François Roth: L'affirmer serait bien prétentieux. J'espère avoir donné à mon pays le goût de l'ouverture. J'ai été un passeur de générations, de celle des pères fondateurs du canton vers la deuxième génération. Moins en lien avec la mythologie qui entourait la création du canton, dont j'ai brisé de fâcheux tabous, comme le rejet du suisse-allemand. Pour donner au Jura des perspectives plus pragmatiques. J'ai compris que le Jura ne peut vivre sans d'intenses relations avec ses voisins, suisses et transfrontaliers. J'ai construit des rapports apaisés, constructifs, y compris avec le gouvernement bernois. J'ai donné l'image d'un Jura «sagement rebelle», responsable, qui se prend en main et assume sa place dans l'espace fédéral.

  • Avez-vous été un bon «chef des Jurassiens», un timonier?

  • Dans le paysage fédéral, je ne crois pas avoir détonné dans ma tâche. Je l'ai exercée avec beaucoup de conviction. Pour le Jura, j'ai été un timonier. J'ai beaucoup proposé, même s'il y a eu quelques ratés. J'ai commis des erreurs, mais pas deux fois, sachant tirer les leçons d'un échec. Oui, je crois avoir été un bon chef.

  • Quel Jura léguez-vous? Avez-vous été, comme vous le préconisiez en l'an 2000, le «passe-muraille qui voulait faire entrer le Jura dans la modernité»?

  • Tout en en faisant un partenaire constructif, j'ai diffusé l'image d'un «autre Jura». Pas le pays rural ou arriéré qu'on imaginait. Un pays moderne, industrieux, avec beaucoup de savoir-faire. Je laisse un Jura dont le destin n'est certes pas scellé, mais plus ouvert, et pas seulement dans les discours. Plus moderne et plus modernisé. Pas encore suffisamment, mais d'importants jalons sont posés.

  • L'image que vous donnez du Jura ne détonne-t-elle pas avec une réalité intérieure moins émancipée?

  • C'est vrai, il y a un décalage entre le pays réel et le pays rêvé. C'est nécessaire. Il faut se fixer des objectifs et chercher à les atteindre avec opiniâtreté. Mais il faut du temps.

  • Ce Jura «réel», regarde-t-il trop dans le rétroviseur et vers son nombril, pas assez vers l'extérieur?

  • Manifestement, nous sommes trop petits. Nous avons des potentialités, du génie, en particulier dans les créations industrielles. Mais dans cet espace restreint, on s'observe, on se jalouse. Cela crée un environnement qui peut devenir funeste si on n'y prend garde. Il faut contrer les forces de repli qui mènent au déclin avec volontarisme. Ici, trop souvent, on cultive le marasme, on se recroqueville. Il n'y a d'autre salut pour le Jura que de pratiquer une politique d'ouverture, pour donner envie de vivre et réussir ici.

  • Les nouveaux élus ont dit, en campagne électorale, être à l'écoute des Jurassiens. Ne faut-il pas à l'inverse les bousculer?

  • Il faut oser dire les choses clairement. On me l'a parfois reproché, au risque d'apparaître hautain. Les gens n'aiment pas être bousculés. Il faut alors chercher à les entraîner derrière des objectifs ambitieux, comme j'ai tenté de le faire avec le programme «Pays ouvert». C'était un électrochoc. La population a pris conscience de nos problèmes et du besoin de les surmonter. Elle s'est ravisée au moment de voter, pour des raisons collatérales. C'est pour moi un grand regret.

  • Après «Pays ouvert», vous vous êtes rabattu sur un programme de développement économique. N'est-ce pas réducteur?

  • Les places de travail, dans le Jura, proviennent principalement de son industrie. Pour lutter contre le recul démographique, il faut un moteur: maintenir et créer des places de travail avec davantage de valeur ajoutée. Cela passe par le développement de notre tissu industriel. On peut également avoir des moteurs latéraux: le tourisme en est un, la santé et le bien-être aussi.

  • On évoque l'exode des jeunes et des cerveaux jurassiens. Votre canton manque-t-il d'élites, économiques, fiscales et intellectuelles?

  • Notre pays n'est pas grand, le vivier est restreint et pas naturellement très riche. On cumule les désavantages. Je constate avec consternation que Porrentruy, qui passait autrefois pour l'«Athènes du Jura», avec d'immenses talents notamment au XIXe siècle, est sur le déclin. A-t-on encore une élite? Poser la question... La concentration des journaux a standardisé le débat d'idées, politiques et philosophiques.