L'homme d'affaires russe et magnat de l'aluminium Lev Tchernoï fait l'objet d'une enquête pénale pour blanchiment d'argent, confirme le juge d'instruction genevois Laurent Kasper-Ansermet chargé depuis mardi de ce dossier. Une transaction suspecte, dénoncée au bureau de communication de l'Office fédéral de la police, est à l'origine de cette procédure. Cette affaire n'a rien à voir avec les ramifications suisses du scandale de la Bank of New York, précise encore le magistrat.

En vertu de l'obligation faites aux intermédiaires financiers de signaler les opérations suspectes, une banque genevoise a saisi récemment le bureau de communication en matière de blanchiment d'argent. Ce même bureau, estimant que l'information reçue donnait matière à enquête, a transmis le cas aux autorités de poursuite cantonales. En l'état, le juge Kasper-Ansermet se refuse à articuler un montant ou à préciser qui est le titulaire du compte visé. Le magistrat souligne toutefois que Lev Tchernoï est clairement mis en cause dans cette affaire.

Lev Tchernoï, l'un des «trois frères de Tachkent», s'est forgé une réputation de financier influent aux relations douteuses (Le Temps du 13 octobre). Dans la guerre sans merci que se livrent depuis 1992 les concurrents sur le marché florissant et désormais privatisé de l'aluminium, il a été l'objet de vives critiques. Ce natif de la capitale ouzbèke a fait ses premières armes dans le textile avant d'opérer sa véritable ascension dans l'industrie du métal. Partenaire en affaires et représentant en Russie de la compagnie anglaise Trans World Group et de sa filiale genevoise Trans World Metals, son nom a été associé à des pratiques criminelles, des fraudes et autres trafics d'influences. Il a été mis en cause pour avoir soutenu financièrement la campagne d'Oleg Soskovets qui fait partie - aux côtés de l'intendant du Kremlin Pavel Borodine- de la liste des responsables dont les avoirs sont recherchés par la justice genevoise. Lev Tchernoï aurait enfin, selon les medias moscovites, alimenté les visées expansionistes de Boris Berezovski sur la presse russe.

Lev Tchernoï n'est pas le seul «baron de l'aluminium» à se trouver dans le pétrin. Le maître de l'usine de Krasnoyarsk en Sibérie, Anatoly Bykov, est recherché pour blanchiment d'argent en Russie et se trouve actuellement en fuite à l'étranger. Le nom de Bykov a d'ailleurs été retiré récemment de la liste initiale du dirigeant ultranationaliste Vladimir Jirinovsky à la suite d'une décision de la Commission électorale centrale. Lev Tchernoï, qui dispose également d'un passepot israélien, n'est apparemment pas inquiété en Russie. La Suisse n'a reçu aucune demande d'entraide le concernant.

Lev Tchernoï n'est pas un inconnu pour les enquêteurs genevois, plongés aujourd'hui dans plusieurs dossiers liés à la Russie et aux ex-républiques soviétiques et confrontés à un réseau de personnes ou de sociétés qui émergent régulièrement au gré des investigations menées sur l'argent de la corruption. Mais c'est la première fois que le magnat de l'aluminium fait nommément l'objet d'une procédure spécifique.

Avant lui, son frère aîné, Mikhail Tchernoï, soupçonné d'appartenir à une organisation criminelle, a passé quelques jours à Champ-Dollon, en novembre 1996, avant d'être relâché. Le juge Kasper-Ansermet, également saisi de ce cette autre instruction, précise que l'enquête est toujours en cours.