#LeTempsàVélo (26)
Malgré un décor sylvestre majestueux, le Val Blenio déplore ces dernières années la fermeture de plusieurs hôtels, à l’image d’un Tessin qui se dépeuple. Mais un nouveau centre nordique à Campra redynamise la région

#LeTempsAVélo
Durant six semaines, plusieurs équipes de journalistes du Temps et d’Heidi.news se relaient pour parcourir la Suisse à vélo et raconter ses transformations. Suivez leur odyssée grâce à notre carte interactive et retrouvez leurs articles écrits au fil du chemin.
Hôtel de La Poste à Olivone: fermé. Hôtel San Martino, dans ce même village de 1800 âmes: aussi fermé. Centre Pro Natura à Acquacalda: encore fermé! Dans le Val Blenio, au nord du Tessin, l’offre touristique s’est réduite comme peau de chagrin ces dernières années. Heureuse exception: le Centre nordique de Campra, qui a ouvert ses portes en novembre 2019.
Entre Disentis et Bellinzone serpente le col du Lucmanier, qui culmine à 1900 mètres d’altitude. A peine a-t-on basculé sur le versant tessinois que se dresse une magnifique bâtisse tout en bois, parfaitement intégrée dans ce majestueux décor sylvestre. «C’est un succès», se réjouit son directeur, Fabio Anelli. Même si ce centre reste encore méconnu en Suisse romande, les Alémaniques et les Italiens du Nord y accourent de plus en plus. Le taux d’occupation y frise les 70% désormais. Ici, on ne vient pas pour s’enivrer en boîte – la discothèque la plus proche se trouve à Biasca, à 20 km de là –, mais bien davantage pour se ressourcer. «Les gens recherchent l’authenticité de l’endroit. C’est justement cette image que nous entendons promouvoir», souligne Fabio Anelli. Même les jeunes préfèrent le contact avec la nature à l’envie de faire la fête.
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Dix ans plus tôt, il n’y avait ici qu’une baraque en bois servant de vestiaire et un buffet self-service pour les skieurs de fond, malgré un cadre idyllique pour les sportifs. Pas de vent ni de soleil durant trois mois, ce qui permet des conditions d’enneigement stables sur ce réseau de pistes d’une trentaine de kilomètres, qui accueille désormais des compétitions internationales. «Les clients avaient besoin d’une offre plus complète», explique le directeur. Dès 2010, une société réunissant des intérêts privés et publics planche sur un projet à 16 millions de francs, dont la moitié a été financée par le canton. L’hôtel dispose de chambres individuelles et familiales, de même que de quelques dortoirs pour groupes. Son restaurant propose une cuisine de bonne qualité axée sur les produits locaux.
L’exode des jeunes
Ce projet est-il le signe bienvenu d’un renouveau ou l’arbre qui cache la forêt? Depuis 2017, le Tessin fait partie – avec Neuchâtel et les Grisons – des trois cantons suisses qui accusent un déficit démographique. Après une hausse régulière de la population, les statisticiens ont déploré «une inversion de tendance» qui touche avant tout la Léventine et le Val Blenio. La population vieillit, les décès excèdent les naissances et l’émigration est supérieure à l’immigration. Chaque année, quelque 1000 jeunes quittent le Tessin, alors qu’ils n’étaient que 400 voici dix ans.
«Nous redoutons une spirale négative, qui pourrait déboucher à terme sur la perte d’un siège au Conseil national pour la députation tessinoise», déclare Verio Pini. Cet ancien employé de la Confédération préside aujourd’hui Coscienza Svizzera, un groupe de réflexion qui s’interroge sur les défis institutionnels et en matière de plurilinguisme qui se posent pour la Suisse italienne. Ce mois-ci, son prochain séminaire sera consacré au «mal-être tessinois».
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Paysan de montagne aujourd’hui à la retraite et ancien syndic durant huit ans, Marino Truaisch (73 ans) raconte la dureté de ce qu’a été son quotidien sur un domaine de près de 60 hectares: la première machine à faucher en 1955, le premier tracteur en 1961. Sa femme, de nationalité mexicaine, a préféré la psychothérapie aux travaux de la ferme. Dans ce décor sauvage où l’on produit du fromage sur les alpages, la main-d’œuvre est presque uniquement saisonnière tant les conditions de travail sont éprouvantes, même si les salaires – 5000 francs par mois – sont tout à fait corrects. Mais le Val Blenio, c’est un paysage intact qui conserve sa magie, que certains étrangers savent apprécier à sa juste valeur. Un jour, Marino Truaisch croise une professeure d’histoire de l’art d’Innsbruck venue travailler quelques mois à la fromagerie et lui demande comment elle a pu s’égarer là. «Tu ne comprends rien», s’énerve-t-elle. «J’ai pris ce jour-là une belle leçon», avoue-t-il. La qualité de vie dans une nature préservée, cela n’a pas de prix.
Ce bois qui ne paie plus
Le Tessin est un pays de forêts. Il en est recouvert sur 50% de son territoire, contre 25% pour les autres cantons en moyenne nationale. Pourtant, une véritable industrie du bois en est absente, ainsi que le confirme l’ingénieur forestier cantonal Daniele Lazzeri, lui aussi un enfant de la vallée. «Le bois, ça eût payé, mais ça paie plus», aurait dit Fernand Raynaud. Le travail de coupe, jusqu’à ce qu’un acheteur ne vienne récupérer le bois, coûte 150 francs par m³, mais ce bois ne rapporte qu’entre 30 et 80 francs à la vente. C’est dire que les autorités cantonales et fédérales doivent massivement le subventionner, ce qui n’est pas sans créer des situations paradoxales. Voici quelques années, le Tessin exportait du bois en direction du Zillertal, dans le Tyrol autrichien. Or, ce sont des entreprises de cette région qui ont livré une partie du bois destiné au Centre nordique de Campra!
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Pour leur part, les jeunes, du moins ceux qui sont au bénéfice d’une bonne formation, seront inévitablement tentés de s’en aller. Mais ils ne se plaignent pas trop, à l’instar de Didier Rusconi. Cet apprenti électronicien de 18 ans ne rêve que d’étudier à la Haute Ecole de sport de Macolin. Il aimerait bien rester dans la région, mais il ne sait pas si cela sera possible. «Cette vallée n’offre pas la diversité des emplois qu’on trouve en Suisse alémanique», constate-t-il tout en restant optimiste. «La mentalité des gens d’ici est un peu conservatrice, mais il est possible de réaliser des projets concrets, comme l’extension du centre polysportif d’Olivone déjà approuvée en votation». Daniele Lazzeri abonde dans ce sens: «L’avenir de cette vallée dépendra de la volonté du canton et de Berne de soutenir les régions de montagne».