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Boncourt – Delle: un minuscule maillon ferré pour ancrer le Jura au TGV

Moritz Leuenberger inaugurera vendredi 1600 mètres de rail sur la frontière franco-suisse. L'accès au train à grande vitesse français est escompté pour 2011.

«Un pas vers l'Europe.» Dans la rhétorique comme dans les faits, la réouverture de 1600 mètres de voie ferrée, le 8 décembre, entre Boncourt et Delle, est un symbole. Le ministre jurassien Laurent Schaffter le sait. «C'est la première fois, depuis la Deuxième Guerre mondiale, qu'on reconstruit une ligne ferroviaire qui traverse la frontière», renchérit le délégué jurassien aux Transports, David Asséo.

C'est surtout le premier maillon d'une liaison attendue pour 2011, de Bienne à Belfort, qui donnera à l'Arc jurassien un accès direct, à 14kilomètres de la frontière suisse, à la gare du TGV Rhin-Rhône en construction de Méroux, à la porte de Belfort. Pour y parvenir, il faut réhabiliter 20 kilomètres de ligne entre Delle et Belfort.

A l'instar de la Transjurane, qui doit le relier à l'horizon 2015 aux réseaux autoroutiers suisse et français - par la même porte frontalière de Boncourt -, le Jura fait des pieds et des mains pour figurer en bonne place dans le réseau ferroviaire. La ligne Delémont-Delle-Belfort occupe une position centrale. Elle fut d'ailleurs un axe européen de première importance avant la Première Guerre mondiale, entre Paris et Milan. Porrentruy était en 1913 la quatrième gare de Suisse en importance. Mais, non électrifiée, la partie française du tronçon est tombée en désuétude au fil du XXe siècle. Le dernier train voyageurs y a circulé le 26 septembre 1992.

Le Jura et la Franche-Comté paient

Pour traduire son volontarisme, le Jura a mis la main au porte-monnaie pour faire le premier pas, imité par la Région Franche-Comté, dont le président est l'ancien maire de Delle, Raymond Forni. Ils ont dépensé à eux deux quelque 900000 francs pour redonner vie au premier maillon de la ligne abandonnée: 1,6 km entre Boncourt et Delle, 1200 mètres côté suisse et 400 côté français. L'Union européenne, la Confédération, les CFF et la SNCF mettent aussi quelques dizaines de milliers de francs. Il a fallu moderniser la signalisation et changer les rails: les CFF y ont déplacé une voie désaffectée.

Douze trains quotidiens passeront désormais la frontière entre Boncourt et Delle. «Il est évident qu'ils ne seront pas remplis tous les jours, concède David Asséo. Les horaires ont été conçus avec les associations de frontaliers. Le coût d'exploitation sera minime: 40000 francs par an. On ne jette pas d'argent par les fenêtres.»

Un acte politique

Le prolongement jusqu'à Delle est surtout un acte politique. Bien compris loin à la ronde, puisque le ministre suisse des Transports, Moritz Leuenberger, sera de l'inauguration vendredi. Le ministre français, Dominique Perben, et la présidente de la SNCF, Anne-Marie Idrac, font partie de la liste des 300 invités.

Le Jura et la Franche-Comté entendent utiliser l'événement pour faire prendre conscience de l'importance d'une liaison ferroviaire entre Bienne, Delémont, Porrentruy et Belfort. Comme outil de mobilité régionale et urbaine (l'aire industrialisée de Belfort-Montbéliard compte 300000 habitants) et comme accès au TGV: la ligne Delle-Belfort «coupe» la ligne à grande vitesse à la gare de Méroux où le TGV s'arrêtera.

S'il est raisonnable d'être optimiste, la réouverture de Delle-Belfort n'est pas acquise. En plus de 100 millions de francs affectés au TGV Rhin-Rhône, la Suisse a débloqué 40000 francs pour la modernisation de la ligne Bienne-Belfort, dont une moitié sur sol français.

En France, des études sont en cours. La Région Franche-Comté et Paris ont inscrit dans leurs plans d'infrastructures chacun 19,5 millions d'euros (31 millions de francs): 55 millions d'euros (87,6 millions de francs) sont à disposition. Une estimation fixe le coût de remise en état de la ligne à plus de 80 millions d'euros (127,4 millions de francs). «C'est la fourchette la plus haute, nuance David Asséo. La ligne Cannes-Grasse, longue de 17 km et au profil plus difficile, a été revitalisée pour 54 millions d'euros (ndlr: 86 millions de francs). On doit pouvoir rouvrir Delle-Belfort pour un montant équivalent.»

Il faut électrifier la ligne, changer la voie et adapter le tracé. Le «pot de 55 millions d'euros» suscite deux théories: l'une pessimiste, du verre qui risque de rester à moitié vide. Les optimistes disent que le verre est déjà à moitié plein!

C'est bien l'enjeu de l'inauguration du maillon Boncourt-Delle: faire admettre aux politiciens régionaux et nationaux, ainsi qu'aux compagnies ferroviaires, la pertinence d'une ligne franco-suisse entre le Jura et Belfort. Qui devrait, en 2011, mettre Bienne à 3h45 de Paris, contre 5 heures aujourd'hui.