Sept mandats de puissance protectrice
Concrètement, la Suisse a sept mandats de puissance protectrice, c’est-à-dire de représentation d’intérêts étrangers entre des capitales qui n’ont plus de relations diplomatiques. Cinq concernent l’Iran, en lien avec l’Egypte, les Etats-Unis, l’Arabie saoudite et le Canada. Les deux derniers sont effectués à la demande de la Géorgie et de la Russie pour leurs échanges de courriers. La Russie, qui dit ne plus considérer la Suisse comme neutre, n’a-t-elle pas renoncé à recourir à Berne? «Ce mandat est toujours en cours», explique un porte-parole du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). C’est essentiellement un travail de postier, mais qui requiert la confiance.
Qu’en est-il de la promotion de la paix? Berne «se concentre sur environ 20 régions ou pays prioritaires». «En plus de ses activités directes dans le domaine de la médiation, la Suisse apporte son expertise à des organisations multilatérales et régionales, par exemple dans le cadre des processus de paix de l’ONU pour la Syrie et la Libye.» Il peut s’agir de conférences ou de discussions informelles. «Compte tenu de ces multiples formes et de la discrétion que requièrent ces activités de médiation, le DFAE ne tient pas de liste comprenant l’ensemble de ces activités», explique un porte-parole.
Lundi dernier, sous l’égide de l’ONU, de la Suisse et de la Suède était ainsi organisée à Genève une conférence sur le Yémen avec un engagement financier de la Confédération de 14,5 millions de francs. «La Genève internationale est un pilier essentiel» de cette politique des bons offices, insiste Nicolas Bideau, le chef de la communication du DFAE. L’investissement pour faire fonctionner cette plateforme et financer ses bâtiments est important. La Conférence de Lugano sur la reconstruction de l’Ukraine, et son suivi par Berne, est un autre exemple de contribution appréciée par les partenaires européens.
Une grande conférence à Genève?
Lors d’un récent discours à New York, dans le cadre du Conseil de sécurité, Ignazio Cassis a par ailleurs signifié la disponibilité de la Suisse pour organiser une conférence sur le droit international humanitaire (DIH). Il ne s’agit pas d’une convocation à une conférence des Etats parties aux Conventions de Genève, précise Nicolas Bideau. «Cela nécessiterait un mandat. […] Le DFAE étudie actuellement plusieurs options relatives à cette disponibilité. Il est prématuré de s’exprimer sur les détails organisationnels d’une telle rencontre.» En tant qu’Etat dépositaire, Berne peut convoquer une telle conférence avec l’approbation de la majorité des Hautes Parties contractantes.
Cette tradition suisse se traduit aussi par une aide humanitaire qui se veut importante. Ses dépenses étaient de 633,45 millions de francs en 2022, le budget de 2023 est rabaissé à 493,45 millions de francs, en incluant l’aide de 80 millions de francs au CICR. La Suisse ne se distingue toutefois pas au niveau européen par son aide au développement, en restant en deçà de 0,5% de son PIB alors que l’objectif international fixé aux pays riches est de 0,7%. Elle n’apparaît pas non plus parmi les premiers soutiens à l’Ukraine.
Apprendre à communiquer
Pour faire valoir son particularisme, la Suisse s’appuie sur la présence du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à Genève dont la neutralité est souvent présentée comme liée à celle de l’Etat hôte. «Stricto sensu, le CICR n’est pas considéré comme un instrument de la politique suisse de promotion de la paix», précise toutefois le DFAE. L’organisation genevoise est décrite comme un «partenaire essentiel», voire «crucial» pour la promotion du droit international. Mais «la Suisse respecte l’indépendance du CICR, dont l’action est guidée par sa propre stratégie institutionnelle». La neutralité suisse et celle du CICR «ont peu en commun», expliquait il y a quelques mois au Temps Peter Maurer, l’ancien directeur du CICR.
«C’est vrai que la neutralité suisse est critiquée. Mais je constate aussi que notre savoir-faire, le fait que la Suisse n’est pas soupçonnée d’avoir un agenda caché, son expérience en matière de droit humanitaire lui assurent toujours un statut particulier. Cela se voit lorsque la Suisse prend la parole à l’ONU. Lorsqu’elle propose ses bons offices, elle est écoutée», commente Nicolas Bideau. «La Suisse essaie de naviguer dans un monde qui devient plus compliqué, constate pour sa part Pierre Hazan, auteur de Négocier avec le diable (Ed. Textuel). Les Russes lui tombent dessus car elle reprend les sanctions. L’OTAN lui tombe dessus car elle freine sur la réexportation d’armes. C’est du perdant-perdant. La Suisse se retranche dans une attitude défensive alors qu’elle devrait mieux communiquer, faire de la pédagogie dans les grandes capitales, prendre des initiatives dans le cadre de sa politique des bons offices.»
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