Les environs de Töss semblent calmes. Peu de piétons, pas de bruit, beaucoup de neige. «Ne vous y fiez pas, on vient de finir le carnaval, les gens ont beaucoup bu», justifie Peter. Il se défend d'être devenu raciste, contrairement à beaucoup des gens de Töss. Pour preuve, le bar qu'il fréquente assidûment est tenu par un Suisse d'origine turque. Et les consommateurs sont Turcs ou Albanais. «Jamais de femmes sauf parfois des prostituées qui ne font que passer», précise-t-il. «A votre droite et sur les deux cents mètres, tous les commerces appartiennent aux Albanais, restaurants et night-clubs, poursuit-il. Ils cassent les prix et les Turcs ne sont pas contents. Par exemple, Hasan Berisha, le frère de Bashkim, qui tient une pizzeria, faisait payer la bière 4 francs au lieu de 5 ailleurs.»
«Il frimait comme un petit coq»
Malgré son jeune âge, Bashkim traîne déjà un lourd passé. Suspicion de participation à une fusillade, prison préventive après avoir tabassé un policier de Winterthour, vols, bagarres. «Je le voyais souvent dans le bar des Turcs, se souvient Peter, il frimait comme un petit coq, pas méchant mais très énervant. Il était déjà champion de boxe et puis, un jour, il s'est cru star de cinéma.»
En 2002, un documentaire de 35 minutes a été consacré à Bashkim. Vie d'un jeune homme du Kosovo qui rejoint son père immigré en Suisse et se réalise grâce à la boxe thaïe. Ueli Leuenberger, le fondateur de l'Université albanaise de Genève, a vu le film et se dit touché: «On sent que le garçon est fragile et qu'il tente de maîtriser son agressivité. A 13 ans, il est chassé de l'école et là il doit faire face à la violence. La boxe qui lui permet de contrôler ses pulsions le sauve mais je me demande si la scène filmée en 1999 où on le voit devant la maison familiale détruite au Kosovo n'a pas causé d'énormes dommages.»
Hasan Berisha, qui a donné une interview au Blick, dévoile peu de choses au sujet de la personnalité de son frère. «Il doit faire avec des affects», lâche-t-il laconiquement tout en le suppliant de se rendre. Il révèle au passage que Bashkim avait un frère jumeau Binak, ce que confirment Peter et la police cantonale. «Quoique l'on puisse se demander si ça n'est pas pour fausser les pistes», s'interroge un porte-parole. Binak, qui accompagnait son frère la nuit du crime, est lui aussi en fuite. «Ils sont inséparables, ils ne sont plus en Suisse», raconte aussi Hasan. Partis au Kosovo? Possible. Des filières existent. «On entre vite en Suisse, on peut en sortir à la même vitesse», rigole un Turc, un ami de bar de Peter. Ce serait cependant imprudent. La famille de la victime, Rauf Redzepi, est en Macédoine, à Cegrane, pour les obsèques. «Chez les Albanais, les choses se règlent directement entre clans, qu'ils soient familiaux ou villageois, et la vengeance du sang est implacable», prévient Ueli Leuenberger.
Descentes de police
Au «I Frattelli», la pizzeria de Hasan Berisha qui côtoie le bar turc de Peter, peu de monde à l'heure de l'ouverture. «Hasan n'est pas là et il ne veut plus parler à la presse», dit la serveuse qui parle le serbo-croate. Quatre hommes attablés confirment dans la même langue qu'il faut «ou boire quelque chose, ou partir». Peter n'est pas étonné de l'accueil réservé, la tension étant vive à Töss. Dimanche dernier dans la soirée, la police «armée jusqu'aux dents» a fait une descente dans le quartier. Les bars ont été tous «visités» et chaque consommateur fouillé. «Mes clients sont tous partis et j'ai perdu une recette de 1000 francs», se lamente le patron du bar turc. La police n'aurait rien trouvé, pas même la voiture de Bashkim qui depuis la nuit du crime était pourtant garée devant la pizzeria de son frère. L'automobile n'a été identifiée que le lendemain dans la soirée.