Devant la justice

Il y avait des soupçons depuis 2005, mais la surveillance n’a pas permis d’établir rapidement un flagrant délit. Le 30 août 2006, à 22h30, dans les Franches-Montagnes, deux hommes sont interpellés. Hors de la période de chasse, ils transportaient un chevreuil mort. L’enquête a révélé un braconnage d’envergure: en quatre ans, de 2002 à 2006 – les cas précédents sont prescrits –, près de 200 têtes de gibier ont été illégalement tirées. La justice a saisi une grande collection de trophées de chasse et 25 armes à feu, certaines munies de silencieux.

Quatre chasseurs, dont deux frères, l’un étant garde-chasse auxiliaire, formant un «groupe de chasse», étaient renvoyés dès hier matin devant le Tribunal correctionnel de Porrentruy. C’est non seulement le procès d’une affaire spectaculaire de braconnage, mais aussi celui du climat délétère qui règne parmi les chasseurs, de la surveillance lacunaire de la chasse et de calculs claniques où on charge les plus faibles.

L’affaire pénale se concentre sur le braconnage. La prise du 30 août 2006 a ouvert la boîte de Pandore. Les enquêteurs ont saisi, chez l’ex-garde-chasse auxiliaire, un «carnet bleu» et un fichier Excel dans lesquels étaient soigneusement répertoriés les actes de braconnage, jusqu’au nombre de coups de feu tirés. Le fonctionnaire chasseur conteste être l’auteur des actes illégaux, les attribuant à son demi-frère, rongé par l’alcool et les problèmes. Qui s’est suicidé en 2005. L’ex-garde-chasse se présente, lui, comme un chasseur respectueux de la nature, qui se ferait réprimander par des collègues lorsqu’il répugne à abattre une laie.

Pourquoi n’a-t-il pas dénoncé son demi-frère braconnier? «J’étais pris entre deux feux. Il m’a menacé. Et comment aurais-je réagi si je l’avais dénoncé et qu’il se suicide le lendemain?» Après le décès du demi-frère, c’est l’autre frère qui aurait repris le flambeau du braconnage. Il avoue une trentaine de cas, dont celui du 30 août. Il l’a écrit à la justice. Mais refuse d’en dire plus devant le tribunal. Un silence et des bafouillages, venant d’un homme démuni, qui interpellent. Ses trois comparses, sur le banc des accusés, le chargent. Difficile de ne pas y voir une stratégie.

Pneus crevés et chien empoisonné

Dans l’affaire, le canton du Jura est partie plaignante et civile. Il réclame 142 458 francs de dommages, étayés par le détail des amendes définies dans la loi. Un chevreuil braconné génère une taxe de 1000 à 1400 francs; un chamois de 1200 à 1600, un sanglier de 1000 francs et un lièvre de 200 francs.

L’affaire est compliquée par les jalousies et les rivalités qui minent le petit monde des chasseurs. Le fait que le policier enquêteur principal de l’affaire soit lui-même chasseur exacerbe les tensions. Selon les prévenus, il se serait acharné sur eux, pour en faire des exemples. S’en sont suivies, à distance, des menaces, des insultes anonymes, des pneus crevés et un chien de chasse empoisonné.

Les débats posent encore la question de la surveillance. «On a de forts soupçons d’autres braconnages», affirme le chef cantonal de la chasse, Christophe Noël. Entre les lignes et les mots, des gardes-chasse sont soupçonnés de fermer les yeux, des chasseurs veulent focaliser l’attention sur l’affaire actuellement jugée, pour ne pas généraliser.

Le juge Damien Rérat s’est donné jusqu’à vendredi pour rendre un jugement très attendu, tant il sera délicat de trier le vrai du faux. Seul fait avéré: en quatre ans, 200 bêtes sauvages ont été abattues illégalement. Le jugement devra non seulement déterminer qui en est responsable, mais également rétablir le droit dans les forêts francs-montagnardes et parmi les chasseurs.