Le Brexit menace de faire dérailler la relation Suisse-UE
Europe
Déjà compliquée, la recherche d’une solution commune avec l’UE sur la libre circulation des personnes serait compromise par un Brexit. A l'inverse, la mise en oeuvre de l'initiative UDC sur l'immigration pourrait être facilitée

A Berne, on retient son souffle: pour la Suisse, la décision des Britanniques de quitter l’UE tomberait au pire moment. Déjà compliquée, la recherche d’une solution commune pour mettre en œuvre l’article constitutionnel sur l’immigration serait compromise. Le dossier avance lentement depuis deux ans. Il est même bloqué depuis que le scrutin britannique est agendé. «Ce sera de toute façon difficile, mais ce sera encore plus difficile si les Britanniques sortent de l’UE», constate une source proche du dossier.
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Si le Royaume-Uni reste membre du club européen, la Suisse est prête à enclencher le turbo pour négocier avec Bruxelles. Le président de la Confédération Johann Schneider-Ammann a rencontré ces derniers jours le président et le premier ministre slovaques, dont le pays assumera la présidence des Vingt-Huit dès le 1er juillet, la commissaire européenne à l’Emploi et aux Affaires sociales, Marianne Thyssen, et le ministre-président du Bade-Wurtemberg voisin, Winfried Kretschmann.
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Des rendez-vous sont agendés dès la semaine prochaine au niveau des négociateurs. Leur chef Jacques de Watteville a annoncé sur le ton de la boutade qu’il n’avait «pas planifié de vacances au début du mois de juillet». Le Conseil fédéral est prêt à tenir une séance extraordinaire durant la dernière quinzaine de juillet si le dossier se débloque d’ici là. Il faut préciser que, comme il existe les vacances horlogères dans l’Arc jurassien, il y a à Bruxelles les vacances administratives en août.
«Besoin de souffler»
L’UE sera-t-elle disposée à progresser rapidement? A Berne, certains observateurs en doutent. Ils évoquent le «besoin de souffler» des instances européennes après les tensions qui ont précédé le scrutin britannique. «Le vote sera serré et laissera des traces. La page ne sera pas tournée», prévient Karin Keller-Sutter (PLR/SG), membre de la Commission de politique extérieure du Conseil des Etats.
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Par ailleurs, l’UE ne voudra sans doute pas donner le sentiment qu’elle accepte rapidement un accord avec un pays non membre alors qu’elle a tout fait pour vanter les avantages d’être membre avant le vote britannique. Et elle ne lâchera pas prise sur son exigence de conclure en parallèle un accord institutionnel. Didier Burkhalter s’est toujours montré optimiste. Jacques de Watteville paraît plus sceptique: «Le défi est colossal, les difficultés sont importantes et les positions parfois très éloignées», a-t-il lâché dans un entretien avec le Nouveau mouvement européen de Suisse (Nomes).
Uniquement le plan B
Mais quid si le Royaume-Uni décide de sortir? A Berne, la réponse est unanime: le dossier suisse glissera tout en bas de la pile des priorités. Les rendez-vous entre négociateurs ne devraient pas être annulés. Mais personne ne se fait d’illusions: si les Britanniques rejettent un compromis qui va moins loin que ce que demande la Suisse, Bruxelles n’acceptera pas de conclure avec celle-ci un accord au pas de charge. L’espoir de boucler la mise en oeuvre de l'initiative UDC d’ici à septembre, en y intégrant a posteriori une éventuelle solution commune entre la Suisse et l’UE, semblerait définitivement douché.
Si les Britanniques sortent, il sera plus difficile de trouver une solution commune avec l’UE, mais ce sera peut-être plus facile pour nous de mettre en œuvre l’initiative sur l’immigration
Le Conseil fédéral ne pourrait pas remettre à la Commission des institutions politiques (CIP) du Conseil national le rapport complémentaire promis. Ce document est censé compléter le dispositif de mise en œuvre de l’article constitutionnel sur l’immigration. A défaut de pouvoir présenter un scénario négocié avec l’UE, le gouvernement n’a transmis à la CIP que le plan B, à savoir une clause de sauvegarde unilatérale l’autorisant à fixer des plafonds de main-d’œuvre étrangère lorsqu’un certain seuil est dépassé. Or, une solution unilatérale n’a a priori aucune chance. Cela obligerait le Conseil fédéral à fixer des contingents par voie d’ordonnance, puisque l’article constitutionnel l’exige si aucune autre solution n’a été trouvée.
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L’espoir de Gerhard Pfister
«Si les Britanniques sortent, il sera plus difficile de trouver une solution commune avec l’UE, mais ce sera peut-être plus facile pour nous de mettre en œuvre l’initiative sur l’immigration. L’attention des médias ne portera plus sur les détails de cette mise en œuvre», veut néanmoins espérer le président du PDC, Gerhard Pfister. Tous ne partagent pas son optimisme. Economiesuisse et l’immense majorité des organisations faîtières pressent les partis de droite pour qu’ils s’entendent autour d’une clause de sauvegarde sans contingents. Mais elles ont toujours considéré que celle-ci devait faire l’objet d’un consensus avec l’UE.
Or, il y a encore beaucoup de brouillard autour de ce mécanisme. Les membres du Conseil fédéral peinent à s’entendre sur la stratégie. Le modèle de clause de sauvegarde imaginé par l’ancien secrétaire d’Etat Michael Ambühl, professeur à l’EPFZ, paraît complexe. Initié par le canton du Tessin, repris par la Conférence des gouvernements cantonaux (CdC), ce système «bottom up», qui s’appuie sur les disparités salariales et économiques dans les régions frontalières, nécessite la gestion de données que tous les cantons ne sont pas en mesure de fournir. Le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) serait très perplexe. La CdC, dont les membres semblent partagés, en reparle vendredi, soit au lendemain du vote sur le Brexit.
L’AELE, une échappatoire?
En cas de Brexit, le Royaume-Uni pourrait-il être un nouvel allié de la Suisse? Tout dépendra de la manière dont les Britanniques décident de réorienter leurs relations avec l’UE. Choisiront-ils la voie bilatérale? «Ce n’est pas un exemple à suivre pour le Royaume-Uni. Il a fallu plus de quatre décennies pour conclure 120 accords et l’accès au marché n’est pas intégral», analyse economiesuisse, qui redoute plus que tout une nouvelle flambée du franc. C’est aussi la lecture que fait Cenni Najy, coauteur d’une étude menée pour le compte du think tank Foraus.
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Les Britanniques seront-ils attirés par l’EEE? La Suisse, qui n’en fait pas partie, n’en tirerait aucun avantage. Ou se tourneront-ils vers l’AELE, dont ils sont sortis en 1973 pour entrer dans l’UE et qui compte quatre membres: la Suisse, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein? La prudence reste de mise. «Aujourd’hui, la Suisse et la Norvège sont les deux piliers de l’AELE, l’Islande étant surtout concernée par la pêche et le Liechtenstein par les produits financiers. L’arrivée de la Grande-Bretagne dans cet ensemble renforcerait l’AELE mais affaiblirait le rôle qu’y joue la Suisse», analyse le conseiller aux Etats Didier Berberat (PS/NE), qui fera partie de la délégation suisse à la conférence ministérielle de l’AELE lundi prochain à Berne. Le vote britannique y sera analysé, au moins à la pause-café.