Un résultat «décevant». C’est ainsi que le commissaire européen à la fiscalité, Pierre Moscovici, a qualifié lundi l’échec devant le peuple suisse de la troisième réforme de l’imposition des entreprises. Le Français a publiquement fait savoir que ce résultat aurait un impact sur les travaux en cours au sein de l’Union européenne (UE), notamment le processus d’élaboration de la liste noire européenne des paradis fiscaux. «Le résultat aura naturellement une influence sur la coopération entre l’UE et la Suisse», a commenté le responsable européen, qui a appelé Berne à redoubler d’efforts «en matière de fiscalité».

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Pierre Moscovici a également regretté que la votation de dimanche ait rompu les engagements pris en 2014 par les deux parties de mettre un terme à ces régimes fiscaux spéciaux, très mal vus du côté de l’UE. «En 2014, les Etats membres et la Suisse s’étaient mis d’accord pour mettre un terme aux pratiques de concurrence fiscale dommageables et la Suisse s’était engagée à respecter les règles internationales fixées par l’OCDE, a rappelé le commissaire. La Commission envisage donc de consulter les Etats membres pour décider ensemble la marche à suivre si de tels engagements ne devaient plus être respectés.»

«Engagement substantiel» attendu

Dans les couloirs de la Commission, on expliquait toutefois lundi que ce vote n’aura pas comme conséquence automatique de placer la Suisse sur la liste des paradis fiscaux, liste pour laquelle l’institution européenne a adressé une lettre à plus de 90 pays tiers afin d’examiner leurs pratiques. La déclaration de 2014 «ne comportait aucune date limite», rappelle une source proche du dossier. La Suisse aurait donc en théorie encore de la latitude pour échapper à cette liste «si elle fournit d’ici là un vrai engagement à abolir ces régimes» spéciaux. Mais cet engagement devra être «substantiel» et pas seulement de façade.

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«On s’attend à ce que le gouvernement travaille sur une nouvelle réforme et remplisse ses engagements», ajoute ce familier du dossier, pour qui la votation a échoué uniquement sur des questions domestiques et en aucun cas liées à l’UE.

Sur la question des engagements suisses et de la fameuse liste noire européenne, les Etats membres de l’UE prendront aussi la main, au sein de leur groupe «code de conduite» sur la fiscalité des entreprises. A eux de dire combien de temps ils sont prêts à attendre pour que la Suisse abolisse ces régimes. Ils pourraient aussi étudier des contre-mesures, comme le leur permet un nouveau paquet de dispositions contre l’évasion fiscale adopté en juin dernier.

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OCDE et UE, à chacune ses critères

L’UE en fait-elle trop? Par rapport à ceux de l’OCDE, les critères de la liste noire de l’UE sont plus stricts, ou «plus larges» comme préfère le commenter une autre source européenne. Alors que la liste de l’OCDE tient essentiellement compte des critères de transparence, la liste de l’UE englobe trois volets: la transparence, les régimes de «taxation équitable» et la mise en œuvre des normes de l’OCDE sur la lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS). C’est précisément le respect du second critère qui pose aujourd’hui problème à l’UE.


«Notre projet est au frigo, pas au congélateur»

Après le rejet de la RIE III, les cantons espèrent sauver leur stratégie de mise en oeuvre

Le rejet de la 3e réforme de la fiscalité des entreprises (RIE III) déçoit les cantons, qui comptent sur le Conseil fédéral et les Chambres pour élaborer rapidement un nouveau projet. La plupart ne veulent pas abandonner leurs stratégies de mises en oeuvre, quitte à les retoucher ou à les laisser mijoter, ainsi qu’il ressort d’une synthèse de l’ATS. Les adversaires de la RIE réclament souvent de leur côté l’abandon ou une modification substantielle de ces projets.

Le projet fribourgeois serait passé devant le Grand Conseil en septembre si le peuple suisse avait dit oui dimanche. Désormais, «il est au frigo, mais pas au congélateur», a déclaré le ministre des finances Georges Godel. L’argentier cantonal reste assez confiant pour le volet fribourgeois. Plus modéré que le paquet fédéral, il ne contient pas les intérêts notionnels et ne permet pas de défiscaliser plus de 20% du revenu. La Coalition fribourgeoise contre les cadeaux fiscaux estime en revanche que le rejet de la RIE III par les Fribourgeois adresse au Conseil d’Etat «un message si clair que la baisse du taux d’imposition de 19,63 à 13,72% devient caduque.»

Vote vaudois anticipé

Le Jura espère que les sociétés concernées ne quitteront pas le canton et attendront, comme lui, les nouvelles propositions fédérales. Le ministre des finances Charles Juillard estimait avant le scrutin qu’en cas de non à RIE III, le risque était grand que la région perde en attractivité et subisse des délocalisations. Le Jura, qui prévoit de réduire le taux d’imposition des bénéfices de 20,5% aujourd’hui à 15-17% demain, ne voit pas de raison de jeter ou revoir tout de suite le projet d’application cantonale.

Tout comme Genève, Vaud espère maintenir sa stratégie, plébiscitée par 87% de la population en mars 2016. POP et Solidarités dénoncent «la grave erreur commise par le Conseil d’Etat en anticipant sur la mise en oeuvre de la RIE III fédérale» et voudraient revenir sur l’abaissement du taux à 13.79%, tel qu’il a été voté l’an dernier.

(ATS)