Après une législature calamiteuse, marquée par les affaires et les bisbilles gouvernementales, mais aussi par un affrontement systématique entre les blocs de gauche et de droite, les élections du printemps ont amené un souffle nouveau à Neuchâtel. Un Conseil d’Etat tout neuf, qui a prôné la concorde et la confiance. Depuis six mois, le canton vit en eaux calmes. L’état de grâce a été ponctué d’une triple victoire en votation populaire, le 24 novembre, pour un gouvernement d’une collégialité exemplaire, avec ses trois socialistes, un PLR et l’UDC Yvan Perrin.

Mais la rédemption politique neuchâteloise subit un coup d’arrêt, avec l’examen du budget 2014 du canton, son déficit de 25 millions et, surtout, la demande du gouvernement de déroger au frein à l’endettement pour pouvoir investir 60 millions (le taux d’autofinancement n’est que de 50%, alors que le frein exige 70%). Les groupes politiques du Grand Conseil ont repris leurs discours militants, dogmatiques, méprisants et belliqueux.

Majoritaire au parlement, la droite PLR-UDC-Vert’libéral veut montrer qui dispose du réel pouvoir. Il est exclu, pour elle, de déroger à un frein plébiscité en 2005 par 85% des votants, rigoureusement appliqué depuis lors. A gauche, les coupes préconisées par le gouvernement dans certaines prestations de l’aide sociale ou dans la masse salariale en raison de l’inflation négative ne passent pas.

Pour la droite, unie en l’occurrence – PLR et UDC avaient refusé de s’allier pour les élections –, s’il a le mérite d’oser des réformes, le gouvernement commet l’irréparable en «n’appliquant pas la loi», a dit l’UDC Jean-Charles Legrix, et en voulant créer 44 nouveaux postes dans l’administration.

La majorité bourgeoise de la commission parlementaire des finances exige des coupes afin d’atteindre le taux d’autofinancement des investissements requis de 70%. Elle veut ramener le déficit de fonctionnement à 15 millions et raboter l’enveloppe des investissements d’un million, afin d’éviter de surseoir aux nécessaires entretiens routiers. Pour dégager 11 millions, elle fait dans la cosmétique et les «écarts statistiques»: elle inscrit 3,5 millions de recettes fiscales supplémentaires, retranche 2,2 millions dans la masse salariale où seuls 22 nouveaux postes seraient créés, et 4,5 millions dans les subventions et les biens et marchandises. Elle renonce à toucher davantage l’un des gros morceaux de ce budget, l’aide sociale, que le nouveau Conseil d’Etat entend réformer, en réduisant certaines prestations mais en investissant des moyens pour la réinsertion professionnelle et la prévention de la précarité. D’aucuns, parmi les députés bourgeois, auraient voulu faire monter à 50 ans l’âge à partir duquel l’accès à l’aide sociale est complet, contre 30 ans aujour­d’hui, 35 ans en 2014 selon la volonté du gouvernement.

Ces amendements «au bulldozer», a dit la socialiste Johanne Lebel Calame, ne sont pas grand-chose pour la droite. «Avec une optimisation de 0,6%, le budget reste celui du gouvernement qui dispose de moyens très proches de ceux qu’il a proposés», affirme le PLR Damien Humbert-Droz.

Déçu par le retour de la confrontation «dogmatique», selon la formule de son président Laurent Kurth, le gouvernement a compris qu’il ne trouvera pas la majorité qualifiée des trois cinquièmes (69 des 115 députés) pour valider son programme financier. Il formule une contre-proposition respectant le frein à l’endettement, susceptible à ses yeux de ne pas briser l’élan favorable des six premiers mois de la législature. Les 11 à 12 millions à économiser doivent l’être de façon plus équilibrée: réduction de 4,5 millions des charges (avec possibilité de créer 34 des 44 postes énoncés dans la copie initiale), augmentation de 4 millions des recettes avec une évaluation à la hausse des rentrées d’impôts, et une coupe de 3 millions dans les investissements, «moins dommageable que des restrictions douloureuses».

Le Grand Conseil est face à cette alternative: soit la droite majoritaire – qui a refusé toute économie dans le budget du parlement – impose son plan et marque son territoire, soit elle accepte le compromis gouvernemental, l’engageant implicitement à réaliser les réformes annoncées.

Le signal sera important et pourrait peser sur la législature. S’ils ont recréé le fossé gauche-droite, les députés neuchâtelois ont tout de même convenu que Neuchâtel aura un budget 2014, car son refus serait une catastrophe à l’entame de la législature du renouveau. La décision finale est attendue ce mardi après-midi.

Soit la droite impose son plan et marque son territoire, soit elle accepte le compromis gouvernemental